Ici vécut: Pierre Bertrand, au 292, avenue des Oblats

On retrouve sur différents immeubles de Québec 135 plaques Ici vécut. Elles rappellent à nos mémoires des personnes qui ont marqué à leur façon l’histoire de la ville. Pierre Bertrand (1875-1948) a été un homme politique marquant du quartier Saint-Sauveur, député et conseiller municipal, qui prenait régulièrement la parole pour défendre les ouvriers.

<em>Ici vécut</em>: Pierre Bertrand, au 292, avenue des Oblats | 26 août 2023 | Article par Simon Bélanger

Le député et conseiller municipal de Saint-Sauveur, Pierre Bertrand, a vécu au 292, avenue des Oblats.

Crédit photo: Simon Bélanger - Monsaintsauveur

On retrouve sur différents immeubles de Québec 135 plaques Ici vécut. Elles rappellent à nos mémoires des personnes qui ont marqué à leur façon l’histoire de la ville. Pierre Bertrand (1875-1948) a été un homme politique marquant du quartier Saint-Sauveur, député et conseiller municipal, qui prenait régulièrement la parole pour défendre les ouvriers.

La rentrée politique, autant à l’Assemblée nationale du Québec qu’à l’hôtel de ville, nous donne l’occasion de revenir sur la vie d’un politicien aujourd’hui surtout connu pour avoir donné son nom à un boulevard.

Pierre Bertrand (à ne pas confondre avec son homonyme du groupe Beau Dommage) avait d’ailleurs obtenu cet honneur de son vivant, en 1943. Il occupait alors encore des fonctions politiques.

Disons que les normes toponymiques ont beaucoup changé depuis…

De cordonnier à élu municipal

Pierre Bertrand (né Pierre-Arthur) voit le jour dans la paroisse Saint-Roch, à Québec, le 24 décembre 1875. Il est le fils d’Élisabeth Therrien et de Pierre Bertrand, charpentier et cordonnier.

Le fils étudie quatre ans au Patronage St-Vincent-de-Paul, mais abandonne l’école à l’âge de 12 ans. Le jeune Pierre Bertrand aide ses parents dans les travaux manuels. Il devient ensuite employé pour des manufacturiers de chaussures.

Il travaille d’abord comme apprenti chez Isaïe Boivin. Celui-ci était installé dans le secteur où se trouve aujourd’hui le Théâtre Capitole, face à Place d’Youville. Pierre Bertrand accumule ensuite de l’expérience chez de nombreux autres employeurs.

En compagnie d’un certain M. Thibault, il fonde sa propre manufacture de chaussures. Il la dirige de 1914 à 1927. À la même époque, Pierre Bertrand préside l’Union des cordonniers-machinistes.

1914 correspond aussi à l’année de sa première élection comme échevin du quartier Saint-Sauveur au conseil municipal de Québec. Pierre Bertrand remporte plusieurs fois ses élections. Il démissionne en 1927, alors qu’il devient inspecteur des édifices municipaux.

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Le politicien gagne à nouveau ses élections sur la scène municipale en 1930, avant de s’incliner en 1932. Il est finalement réélu en 1934. Pierre Bertrand se présentait aussi à la mairie, mais termine deuxième derrière Joseph-Ernest Grégoire.

Pierre Bertrand remporte toutes ses élections, jusqu’à son décès en 1948.

Double mandat

Lorsqu’on observe la durée de l’implication de Pierre Bertrand en politique municipale, il peut paraître étonnant de savoir qu’il a aussi été député à Québec.

Pourtant, à l’époque, il n’était pas rare de voir des hommes cumuler le double mandat de député et d’élu municipal. Le cas le plus emblématique était sans doute celui de Simon-Napoléon Parent, qui était à la fois premier ministre du Québec et maire de Québec au début du 20e siècle.

D’ailleurs, la loi interdisant de cumuler les fonctions de maire et de député n’est en fonction au Québec que depuis 1980. Le dernier cas est celui de Lucien Caron, à Verdun, qui a eu le droit de terminer ses mandats de député et de maire de Verdun en 1985.

Pour votre culture générale, en France, il est interdit depuis 2017 de cumuler les fonctions électives.

Et cette semaine, le maire de Québec Bruno Marchand recevait son homologue de Namur, Maxime Prévôt. Ce dernier cumule les fonctions de bourgmestre de Namur (fonction semblable à celle de maire) et de député fédéral.

Député provincial

Pour revenir à Pierre Bertrand, celui-ci tente d’abord sa chance en politique fédérale. Il échoue dans sa tentative de se faire élire à la Chambre des Communes en 1921.

Deux ans plus tard, en 1923, il s’essaie de nouveau, cette fois-ci à l’Assemblée législative du Québec (ancien nom de l’Assemblée nationale). Pierre Bertrand ressort victorieux, en tant que candidat ouvrier.

Il perd ses élections suivantes en 1927, avant de se faire élire de nouveau en 1931, sous la bannière du Parti conservateur du Québec, alors dirigé par Camilien Houde. Celui-ci était aussi maire de Montréal. Décidément, les doubles mandats ont la cote!

Pierre Bertrand, en 1940.
Crédit photo: Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Fonds J.E. Livernois Ltée, (03Q,P560,S2,D1,P1420)

Pierre Bertrand est réélu en 1935, puis en 1936, cette fois sous la bannière de l’Union nationale du nouveau premier ministre Maurice Duplessis.

En 1939, il est nommé conseiller législatif de la division de La Salle. Pierre Bertrand occupe ce poste jusqu’à sa mort, en 1948. Le conseil législatif (équivalent du Sénat sur la scène provinciale) disparaît en 1968.

Défenseur des classes ouvrières…

Pendant toute sa carrière politique, Pierre Bertrand s’affiche comme le porte-parole de la cause ouvrière. Comme élu dans Saint-Sauveur, une grande partie de son électorat se trouvait dans cette catégorie.

En 1932, en pleine crise économique, il interroge le gouvernement Taschereau. Bertrand souhaite savoir pourquoi les ouvriers employés par l’État sont moins bien payés que ceux de la Ville de Québec.

«Pourquoi le gouvernement n’établit-il pas une échelle de salaire comme celle de la ville de Québec. Le gouvernement devrait payer des salaires plus élevés aux journaliers. Il ne leur paie que 25 ou 30 cents de l’heure alors que les employés municipaux sont payés 40 cents de l’heure, jouant ainsi avec la misère de la classe ouvrière».

En réponse, le premier ministre Louis-Alexandre Taschereau et les élus du Parti libéral reprochent à Pierre Bertrand d’avoir lui-même renvoyé des ouvriers. Bertrand était alors aussi Commissaire du Havre de Québec (le port), de 1930 à 1935.

«Nous donnons du travail à l’ouvrier, au plus grand nombre d’ouvriers possible, pour la durée de la crise. Nous leur donnons 30 cents de l’heure. Le député de Saint-Sauveur a mis à la porte des ouvriers employés depuis 15 ans qui viennent nous demander le train qu’il leur refuse», répondait Joseph-Napoléon Francoeur, alors ministre des Travaux publics.

Ses interventions en chambre touchaient particulièrement des sujets comme les pensions de vieillesse, le chômage et l’assurance sociale.

Pierre Bertrand dénonce aussi le dépotoir de la rivière Saint-Charles, de même que les prix de l’électricité demandés par la Quebec Power Company. Il s’oppose également à une initiative visant à ramener une ancienne pratique, soit celle voulant que les échevins votent pour élire le maire. Pierre Bertrand estimait plutôt que ce choix devait toujours relever de la population.

…mais pas des femmes

Pierre Bertrand défend parfois les ouvriers au détriment d’une autre partie de la population : les femmes.

Dans un débat entourant la Loi sur les accidents du travail, en 1933, le député déplore le salaire des hommes siégeant sur la Commission des accidents du travail. Il en rajoute :

«De plus, la Commission emploie trop de femmes dans ses services», déclare-t-il au premier ministre Taschereau.

Sur le droit de vote des femmes, son opinion laisse peu de place à l’interprétation. En 1936, il corrige publiquement une erreur commise dans le journal L’Événement.

«On dit dans les journaux que j’ai voté pour l’amendement en faveur du vote des femmes. Il y a eu erreur. J’ai voté contre hier et en d’autres occasions; je suis contre», affirme Pierre Bertrand.

D’un boulevard à l’autre

Comme mentionné d’entrée de jeu, Pierre Bertrand voit une artère importante être nommée en son honneur. Il siégeait encore à l’Hôtel de ville et au Conseil législatif.

La décision est toutefois prise lors d’une séance tenue au Conseil de ville de Québec-Ouest (ancêtre, grosso modo, du secteur Vanier). Québec-Ouest se trouve alors dans la circonscription provinciale de Saint-Sauveur.

Pierre Bertrand reçoit cette reconnaissance en 1943. La 14e Avenue, aussi appelée route Sainte-Claire, est renommée en l’honneur du politicien. La proposition provient de l’échevin Camille Plante, qui a lui aussi laissé son nom à une avenue de Vanier (avenue Plante).

M. Plante précise, pour justifier ce choix, que Pierre Bertrand «avait obtenu différents octrois des autorités provinciales pour travaux remédiateurs au chômage, notamment des travaux d’égoût, de drainage sur les 13e et 14e avenue, des octrois pour les couvents et collèges, etc.».

Et pour la petite histoire, le boulevard Pierre-Bertrand et le boulevard Wilfrid-Hamel, qui se croisent dans le quartier Vanier, obtiennent leur nom en même temps. Wilfrid Hamel est d’ailleurs le successeur de Pierre Bertrand comme député de Saint-Sauveur.

Plus étonnant encore, Wilfrid Hamel était un boulevard avant même d’être élu maire de Québec. Il occupe ce poste de 1953 à 1965.

Décès

Pierre Bertrand meurt le 22 décembre 1948, à son domicile sur l’avenue des Oblats, à l’âge de 73 ans. Il siège toujours à l’hôtel de ville et au Conseil législatif.

Avant de rendre son dernier souffle, il reçoit chez lui quelques collègues d’envergure, dont le premier ministre Maurice Duplessis et le maire de Québec, Lucien Borne.

Et tant qu’à poursuivre dans la toponymie des boulevards de Vanier, Pierre Bertrand reçoit aussi l’Oblat Victor Lelièvre, qui a donné son boulevard Père-Lelièvre.

Pierre Bertrand a droit à des funérailles civiques le 27 décembre 1948. Une foule importante était alors massée sur la rue Saint-Vallier, pendant le passage du corbillard entre le salon de Sylvio Marceau et l’église paroissiale, pour lui rendre un dernier hommage.

La rue Saint-Vallier était très achalandée lors des funérailles de Pierre Bertrand.
Crédit photo: Le Soleil, 28 décembre 1948, Bibliothèque et Archives nationales du Québec,

À l’annonce de son décès, Le Soleil décrivait ainsi le politicien :

«En M. Bertrand disparaît un grand joueur politique provincial et municipal. Autant M. Bertrand était redoutable pour ses adversaires des luttes électorales, autant il cachait un grand coeur. Plusieurs fois il livra des luttes ardues pour sauvegarder les intérêts de ses “chers ouvriers”. Comme champion des classes ouvrières, M. Bertrand combattait le modernisme jusque dans l’utilité de la machinerie, prétendant que le développement de la mécanique était une cause du chômage.»

Pierre Bertrand laissait dans le deuil sa deuxième épouse, Marie-Bernadette Darveau, et deux enfants adoptifs.

Une section du site de la Ville de Québec rassemble la liste des plaques Ici vécut.

Sources:

Assemblée nationale du Québec, « Double mandat », Encyclopédie du parlementarisme québécois.

Assemblée nationale du Québec, « Pierre Bertrand (1875-1948) », biographie mise à jour en janvier 2023.

Généalogie du Québec et d’Amérique française, « Généalogie Pierre-Arthur Bertrand ».

Journal des débats de l’Assemblée, 16e législature, 1re session, 7 mars 1924.

Journal des débats de l’Assemblée18e législature, 1re session, 12 janvier 1932.

Journal des débats de l’Assemblée18e législature, 2e session, 8 mars 1933.

Journal des débats de l’Assemblée18e législature, 2e session, 7 avril 1933

Journal des débats de l’Assemblée, 20e législature, 1re session, 6 novembre 1936.

Le Soleil, « Rues Hamel et Bertrand », 15 septembre 1943, p. 16, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

Le Soleil, « L’hon. Pierre Bertrand mort à l’âge de 73 ans », 23 décembre 1948, p. 1+p. 39, Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Le Soleil, « Un hommage populaire à la mémoire de Pierre Bertrand à Saint-Sauveur », 28 décembre 1948, p. 9, Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

Ville de Québec, « Père-Lelièvre », Fiche toponymique.

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