Le soldat, le clown et le sculpteur

Il y a de ces endroits qu'on remarque toujours sans remarquer, qu'on oublie sans oublier. Et il n'y a pas très longtemps, c'était le cas pour cette bâtisse proche de Langelier, celle toute graffitiée, celle qui me semblait abandonnée.

Il y a de ces endroits qu’on remarque toujours sans remarquer, qu’on oublie sans oublier. Et il n’y a pas très longtemps, c’était le cas pour cette bâtisse proche de Langelier, celle toute graffitiée, celle qui me semblait abandonnée.

Or, par miracle de paroles échangées, j’appris récemment que ce lieu n’est pas abandonné, et qu’il s’agit en fait d’un atelier d’artistes. Intriguée, j’y suis donc allée, prête à cogner sur toutes les portes pour réussir à entrer. Mais par une belle synchronicité, la porte de garage était grande ouverte, les occupants étaient heureux d’être contents, j’ai donc pu discuter avec eux longtemps.

Ce lieu, il a un nom : l’Atelier la Pierre des Ancêtres, dont Serge Houde est le fier propriétaire depuis 2006. Mais plus qu’un nom, ce lieu a une histoire assez particulière, de sorte que je le considère désormais non plus seulement comme un atelier d’artistes, mais comme le musée officiel du quartier.

Un lieu historique

En effet, une mini-maison s’y trouve depuis on ne sait plus quand, où jadis l’on fabriquait des pipes de plâtre. Des vestiges de celles-ci ont d’ailleurs été récupérées soigneusement par Serge Houde, qui les expose aujourd’hui dans son atelier. Puis, en 1898, le lieu tomba sous les mains d’un récupérateur de guenilles, de bouteilles et autres “scrap” : on construira alors l’actuel bâtiment par-dessus la mini-maison en 1910, afin de poursuivre les activités de récupération de père en fils. Encore une fois, vestiges de guenilles et de bouteilles servent d’appui à cette belle histoire de vie.

Et en 2006, c’est une toute autre histoire qui débute avec l’arrivée de Serge Houde.

Un théâtre de personnages

Car l’actuel bâtiment est certes très muséal de par son contenu historique, mais il faudrait lire ici le mot muséal en son sens le plus large… Car entre le jeep d’armée, la sculpture phallique à tête de clown, la collection de badges et de costumes militaires, le Coran, la chaise de barbier et le jeu d’arcade Terminator 2, il y a un monde. Et ce monde, c’est non seulement Serge Houde lui-même, mais aussi tous les personnages qui viennent en ce lieu. En effet, on y arrive et on y part, on y revient, on y échange. De sorte que ma rencontre que j’estimais à 15 minutes s’est étirée sur trois heures, et encore… J’aurais certainement pu y passer la semaine. Au son de la radio, les discussions s’éclaboussent de diversité et sont rythmées par chaque personne qui arrive dans l’atelier. Un véritable centre communautaire, un magasin général, ce bâtiment est certainement la porte d’entrée du quartier.

Là pour rester

Située dans l’artère de la « non-évolution » comme le mentionne Serge Houde, cette bâtisse sécurise selon lui l’authenticité de Saint-Sauveur. « Si je pars, c’est fini. Ils construiront un gros building fancy, et ça se propagera dans tout le quartier, les prix seront beaucoup trop élevés, et plus rien ne sera accessible, tout le monde devra s’exproprier. »

Ainsi, le sculpteur né dans Saint-Sauveur tient mordicus à cet endroit. Et si on lui proposait de l’argent pour partir, comme c’est déjà arrivé ? « Je refuse. » Pas de doute, c’est un Saint-Sauvé, un vrai de vrai.

Futurs projets

Certes, M. Houde désire perpétuer son atelier, mais il songe surtout à le faire évoluer. Il rêverait entre autres d’y ouvrir un café français « avec un auvent rouge et blanc et des tableaux de Gainsbourg », à aménager une terrasse sur le toit, à rétablir le trottoir de bois qui était là avant 1910 et d’en faire une allée bordée par ses créations… Tant d’idées, mais une seule prime d’abord et avant tout : faire de l’atelier une école de sculpture. Une école indépendante, une école qui mise sur le développement et les capacités personnelles de chacun. Une école humaine, de maître à apprenti, une histoire de collaboration, un lieu de passion. Une école qui apprend la sculpture authentique, l’importance du patrimoine, et l’amour de cette pratique.

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Si vous désirez un petit aperçu de l’intérieur de l’atelier, je vous suggère d’aller voir une vidéo de Jane Ehrhardt qui y a été tourné. Mais je vous conseille surtout d’aller voir par vous-mêmes. Car que ce soit pour rencontrer des gens du quartier, vous faire parler d’Égyptiens, de deuxième guerre mondiale, de pierre philosophale et des Francs-Maçons, que ce soit pour observer une collection digne de ce nom, ou simplement pour prendre une bière en parlant de la vie, allez-y ; une visite vaut beaucoup plus que 1000 mots.

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