Ici vécut : Yvon Guillou, au 270, rue Bayard

On retrouve, sur différents immeubles de Québec, 142 plaques Ici vécut. Elles rappellent à nos mémoires des personnes qui ont marqué l'histoire de la ville. Yvon Guillou (1927-1991), résident de la rue Bayard, a laissé une empreinte durable sur le cyclisme au Québec.

<em>Ici vécut</em> : Yvon Guillou, au 270, rue Bayard | 14 septembre 2024 | Article par Simon Bélanger

Yvon Guillou et Madeleine Barbeau Guillou ont vécu au 270, rue Bayard. un édifice construit entre 1860 et 1898. Le bâtiment voisin a servi de commerce pour la vente de vélos.

Crédit photo: Simon Bélanger - Monsaintsauveur + Archives BAnQ, Le Soleil

On retrouve, sur différents immeubles de Québec, 142 plaques Ici vécut. Elles rappellent à nos mémoires des personnes qui ont marqué l’histoire de la ville. Yvon Guillou (1927-1991), résident de la rue Bayard, a laissé une empreinte durable sur le cyclisme au Québec.

Vendredi dernier, vous assistiez peut-être aux prouesses des Michael Matthews, Tadej Pogacar, Michael Woods et Hugo Houle dans les rues de Québec, dans le cadre des Grands Prix Cyclistes.

Maintenant, saviez-vous qu’un important tour cycliste, inspiré du Tour de France, s’est tenu au Québec dans les années 1950 et 1960?

Et encore plus important, saviez-vous que ce Tour du Saint-Laurent a essentiellement été porté par un Breton établi dans le quartier Saint-Sauveur et son épouse?

Allons à la découverte d’un pionnier du cyclisme au Québec, Yvon Guillou, dont une plaque rappelle la présence sur son ancienne résidence de la rue Bayard.

Enfance française et passion pour le cyclisme

Yvon Guillou voit le jour le 23 mars 1927 à Ploemeur, dans le département du Morbihan, en France. Assez jeune, il déménage à Kerrouac, à un peu plus de 40 km au nord-ouest. Ses parents, Jeanne Guernalec et Albert Guillou vivent sur une terre.

Dans sa jeunesse, Yvon Guillou pratique plusieurs sports. À 13 ans, il fait de la course à pied, du saut en hauteur et du saut en longueur. Le jeune athlète participe d’ailleurs au cross d’athlétisme à Paris.

À 16 ans, alors que la Seconde Guerre mondiale est déjà bien entamée, il devient l’un des plus jeunes combattants de la France.

Par la suite, il entre dans le Club cycliste de Concarneau et participe à ses premières compétition de haut niveau, comme le Tour du Morbihan, alors qu’il est âgé de 20 ans.

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À l’âge de 23 ans, Yvon Guillou obtient son diplôme de moniteur d’éducation physique à l’Académie de Bordeaux.

Arrivée au Québec et rencontre avec Madeleine Barbeau

En novembre 1951, il se dirige vers le Canada. Guillou débarque d’abord à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, puis l’agent d’immigration le dirige vers Québec. Comme les cours d’éducation physique sont encore peu nombreux dans les écoles, il réoriente sa carrière comme bûcheron, à Beaupré.

En 1952, Yvon Guillou visite Madeleine Barbeau, une amie de son frère Jean, que ce dernier avait rencontré lors d’un voyage d’autobus entre New York et Montréal. Yvon et Madeleine s’entendent bien rapidement.

Le couple formera une équipe unie, à la fois dans l’organisation des tours cyclistes que dans la vie familiale, alors que huit enfants naîtront de cette union.

Un accident de travail le mènera à se concentrer sur le cyclisme, alors qu’il se coupe la première phalange du pouce droit. Il était alors impossible pour lui de retourner travailler rapidement, en raison du changement de pansement quotidien.

Yvon Guillou contacte un coureur connu de Québec, nommé Évariste Lavoie. Les deux hommes s’entraînent ensemble. Guillou participe finalement à la course Québec-Montréal en 1952, remportant les grands honneurs. Il poursuit sur sa lancée, en remportant une course sur le circuit de Giffard et le Tour de l’île d’Orléans.

Yvon Guillou remporte encore quelques titres en 1953. À ce moment, alors qu’il a déjà démissionné de son emploi de bûcheron, un projet d’envergure lui trotte dans la tête…

Le Tour du Saint-Laurent cycliste

En novembre 1953, plusieurs coureurs cyclistes de Québec sont réunis au même endroit. À un moment de la rencontre, Yvon Guillou se serait écrié : «Une course de deux jours, en quatre étapes!»

Il révélait ainsi son rêve de réaliser un tour cycliste au Québec, inspiré du célèbre Tour de France, mais à plus petite échelle pour commencer.

Au printemps 1954, il ouvre un premier commerce de vélos. Celui-ci est situé dans le local qui accueillera bientôt le restaurant TUMI, au 95, rue Saint-Vallier Ouest. Plus tard, le commerce de vélos sera attenant à la résidence de la rue Bayard.

Le futur local du TUMI, en plus d’avoir déjà accueilli une pizzéria Salvatoré, a servi de boutique de vélos pour Yvon Guillou.
Crédit photo: Simon Bélanger - Monsaintsauveur

En mai, il organise une petite assemblée dans sa maison, alors située au coin des rues de Carillon et du Cardinal-Taschereau. Toutes les personnes présentes sont sceptiques face au plan d’Yvon Guillou, celui-ci estimant que c’était le moment idéal pour le cyclisme au Québec. La compétition portera le nom Le Tour du Saint-Laurent cycliste.

Cette première compétition, tout comme les suivantes, représente un défi logistique constant. Il faut d’abord recruter les athlètes. Yvon Guillou voyage aux États-Unis et ailleurs au Canada pour publiciser la compétition. Il devait aussi coordonner l’événement avec les maires et chefs de police des différentes villes hôtesses. La première année, les cyclistes passent par Drummondville, Ville Lemoyne (aujourd’hui Longueuil), Montréal et Trois-Rivières, avant de revenir à Québec.

Il faut aussi coordonner l’hébergement, les repas, les prix, les commanditaires, l’impression de programmes, etc. Madeleine Barbeau Guillou aura un rôle de premier plan à jouer dans toutes ces tâches, alors même que ses grossesses se succèdent et qu’elle a même déjà accouché pendant l’événement.

Lors de la première année, 49 cyclistes prennent officiellement le départ au parc Durocher. Le premier gagnant de l’épreuve est Bernard Rebouche, qui avale les 544 km en 15 heures, 59 minutes et 55 secondes. Le hockeyeur Jean Béliveau préside la distribution des prix.

Un succès d’année en année

Par la suite, le Tour du Saint-Laurent cycliste continue de grandir. Plus d’étapes, un plus long parcours, plus de villes parcourues, plus d’athlètes…

Plusieurs incidents ajoutent au folklore de l’événement au fil des années. Si le Français Georges Hélaouet marque l’histoire en remportant l’épreuve en 1955 et en 1956, c’est l’Ukrainien (et ancien SS) Peter Hetman qui attire l’attention. À Sherbrooke, il subit une fracture du tibia, lorsqu’un automobiliste fonce dans le peloton et blesse cinq coureurs.

Malgré la douleur, il ne souhaite pas abandonner son équipe. Hetman se «fait geler» la jambe et poursuit. Puis, lors de l’étape finale entre Donnaconna et Québec, il est projeté au sol lors d’une crevaison. Hetman subit des lacérations aux visages et des ecchymoses, mais poursuit tout de même la course. Il fut accueilli en héros au stade municipal.

Lors des quatre premières éditions, Yvon Guillou participe à la course comme cycliste. Son chant du cygne se fait en beauté, puisqu’il remporte la toute dernière étape du quatrième Tour, qui se termine au parc Victoria.

Cette photo a été prise lors de la remise du maillot jaune à René Grossi, lors du Tour du Saint-Laurent 1957.
Crédit photo: Bibliothèque et Archives nationale du Québec, Archives Le Soleil

Lors de l’édition de 1958, Yvon Guillou convainc la compagnie de pneus Dunlop de commanditer une équipe qui porterait ses couleurs, une première dans le cyclisme québécois. La même année, on évite de justesse une collision entre un train et plusieurs cyclistes lors du passage à Orford.

L’événement gagne de plus en plus en popularité.

«Quand le moment tant attendu du Tour arriva, on sentait une frénésie dans l’air. Le public semblait impatient de voir les coureurs passer en sueur devant eux et pédaler à en perdre haleine. À Québec, le Tour était devenu à l’été ce que le Carnaval était devenu à l’hiver», écrivait Madeleine Barbeau Guillou dans son ouvrage consacrée au Tour du Saint-Laurent cycliste.

Lors de l’édition 1959, le champion en titre Art Longsjo n’est pas sur la ligne de départ, comme il avait péri dans un accident de la route l’année précédente, après son séjour au Québec. Lors de cette même édition, 11 athlètes sont malades en raison de nourriture avariée servie à Thetford Mines.

C’est aussi lors de cette édition que le comité organisateur réalise un profit pour une première fois, après des premières éditions déficitaires.

Les difficultés commencent

Lors de l’édition 1960, l’organisation de l’événement se complique. Une association cycliste québécoise (Union cycliste nationale) voit le jour, mais l’association canadienne ne voit pas cette nouvelle créature d’un bon œil. Les cyclistes qui en font partie ne peuvent donc pas participer, situation qui touche les principaux cyclistes du Québec. Les officiels doivent également se retirer, tout ça à quelques jours du départ.

De plus, au départ de la 7e étape du Tour, l’équipe américaine se désiste, car ses membres ne devaient participer à aucune compétition d’envergure 10 jours avant le départ pour les Jeux olympiques de Rome en 1960. Ensuite, le maillot jaune Nick Van Male ne se réveille pas à temps pour le départ d’une étape et arrive en retard, ce qui le disqualifie.

Lors du Tour de 1960, le déficit s’élève à 10 554$, car les commanditaires ne souhaitaient pas s’engager si les associations cyclistes ne s’entendaient pas. Le conflit est réglé deux semaines après la fin de l’événement.

En 1961, le cycliste Karl Napper est gravement blessé à Sherbrooke, lorsqu’il est embouti par une voiture. Il poursuivra d’ailleurs la ville pour négligence. Pendant cette même édition, l’éventuel vainqueur du Tour, l’Italien Egidio Bolzon, tente de mordre son adversaire André Palotas, car il estimait que celui-ci bloquait sa progression.

Lors de l’automne suivant, le Tour du Saint-Laurent cycliste est vendu. Un groupe d’hommes d’affaires prenait le relais de l’organisation, mais plusieurs problèmes surviennent.

Yvon Guillou et son épouse ont graduellement l’impression de se faire déposséder de leur tour et d’avoir de moins en moins de droit de regard sur l’événement. En contrepartie, l’événement devient particulièrement déficitaire et les nouveaux gestionnaires n’attirent pas vraiment de commanditaires. De plus, l’étape montréalaise du Tour de 1962 est interrompue. Alors que les cyclistes devaient se lancer dans un sprint, les organisateurs ont plutôt décidé de les faire défiler dans la rue pour les dernières minutes de l’épreuve.

«Nos récriminations et nos vives protestations contre les irrégularités flagrantes, tout au long du précédent Tour, avaient fait de nous des personnes impopulaires, désormais réputées pour leurs abus de pouvoir et leur caractère ombrageux», dénonce Madeleine Barbeau Guillou dans son livre.

Démission et nouveaux défis

Le sort en était jeté. Le 18 juin, Yvon et Madeleine convoquent une conférence de presse. Yvon Guillou annonce alors qu’il démissionne de son poste au sein du Tour du Saint-Laurent.

«La perte du Tour fut indéniable le drame de notre vie», se souvient Madeleine Barbeau Guillou.

Après ce coup de tonnerre, Yvon Guillou se trouve un emploi comme vendeur de soudeuses à arc électrique de la compagnie Forney Arc Welders. Il travaille alors sur la route. Entretemps, le Tour du Saint-Laurent continue sans les Guillou, jusqu’à une dernière édition en 1965. Celle-ci se termina dans une faillite de presque 500 000$.

Le gardien de but des Canadiens de Montréal Jacques Plante offre aussi un emploi à Yvon. Il lui propose de vendre son masque de gardien, sur un territoire s’étendant de Trois-Rivières à Gaspé, en passant par les Maritimes. Yvon Guillou refuse, alors que sa famille compte alors 7 enfants de 8 ans et moins.

Le cyclisme n’est quand même jamais bien loin. Dès 1965, il se lance dans l’organisation d’un Tour du comté de Portneuf, réservé aux coureurs juniors. Il répète l’événement une autre fois. Toujours en 1965, on lui offre un emploi au Centre de réadaptation de la province (aujourd’hui le Centre François-Charron).

Le ministre québécois du Tourisme, Gabriel Loubier, suggère aussi de faire voyager l’événement d’une année à l’autre. C’est ainsi que s’organise en 1968 et 1969 le Grand Prix de la Chaudière, en Beauce.

En 1971, le comité organiseur du Tour de la Nouvelle-France (qui succède au Tour du Saint-Laurent) propose à Yvon Guillou d’organiser l’étape de Québec.

Deux événements d’importance marquent l’année 1976. D’abord, Yvon Guillou fonde le Club cycliste de la capitale, dont il est l’entraîneur. L’équipe participe à des compétitions partout au Québec.

Puis, il organise une première grande randonnée cycliste à Québec. 5 000 cyclistes roulent sur 21 km. Le chiffre grimpe à 8 000 lors d’une seconde édition.

Les années 1980 et 1981 sont les dernières durant lesquelles Yvon Guillou organise des événements cyclistes. Il s’agit du Tour de la Gaspésie. Lors de l’édition de 1981, un certain Louis Garneau remporte les grands honneurs.

En 1987, Yvon Guillou se met en tête de redémarrer le Tour du Saint-Laurent. Toutefois, la santé ne suit pas, alors qu’il subit un premier infarctus.

Puis, en 1991, il apprend qu’il est atteint d’un cancer. Il vit les derniers moments de sa vie dans une maison située au 630, rue de la Reine. Celle-ci se trouve dans le quartier Saint-Roch.

Yvon Guillou s’éteint le 8 décembre 1991.

Yvon Guillou a vécu les derniers moments de sa vie dans cette maison située au 630, rue de la Reine, dans le quartier Saint-Roch.
Crédit photo: Simon Bélanger - Monsaintroch

Héritage d’Yvon Guillou

Le nom d’Yvon Guillou est peut-être inconnu de plusieurs aujourd’hui. En revanche, il a réellement été un pionnier dans le développement du cyclisme au Québec.

«Il a su insuffler l’amour du cyclisme aux Québécois, un peuple qui devint un amant du vélo, enthousiasme d’avoir un événement d’une telle envergure chez lui. C’était un personnage déterminé, qui avait adopté un but sans en déroger. Sa personnalité était forte et attachante, ponctuée d’affabilité et d’un charme indéniable, qui s’exprimait pleinement par son sourire légendaire», écrivait son épouse dans son livre.

Madeleine Barbeau Guillou et Chantal Guillou, lors du dévoilement de la plaque rendant hommage à Yvon Guillou, en 1999. Cette plaque avait disparu de la façade en 2023, mais elle est revenue au printemps.
Crédit photo: Bibliothèque et Archives nationale du Québec, Archives Le Soleil

Son héritage est reconnu de diverses façons. En 1989, deux ans avant sa mort, il est intronisé au Temple de la renommée du cyclisme québécois, à titre de bâtisseur. Son épouse Madeleine le rejoint en 1993.

Depuis 1999, une plaque commémorative se trouve sur la façade de l’ancienne maison de la famille Guillou. Puis, en 2006, la rue de Tracy, dans Saint-Sauveur, devient la rue Yvon-Guillou.

Rue Yvon-Guillou, dans Saint-Sauveur
Crédit photo: Simon Bélanger - Monsaintsauveur

On peut s’imaginer que les cyclistes québécois de haut niveau, de Louis Garneau à Hugo Houle, en passant par Lyne Bessette, doivent beaucoup au travail accompli avant eux par ce Breton adopté par le Québec.

Petite anecdote en terminant. Dans un article du Soleil du 16 mars 1979, on peut lire qu’Yvon Guillou proposait de réserver le boulevard Champlain pour la circulation à vélo, du mois de mai au mois de novembre. Le directeur de la circulation à la Ville de Québec lui avait servi une fin de non-recevoir, mais avait quand même reconnu que l’endroit se prêterait bien à l’aménagement d’une piste cyclable confortable sur l’accotement.

Finalement, un projet de plus grande envergure semble avoir vu le jour…

Une section du site de la ville de Québec rassemble la liste des plaques Ici vécut.

Sources

BARBEAU GUILLOU, Madeleine, Le Tour du Saint-Laurent cycliste, La Plume d’Oie, Cap-Saint-Ignace, 1991, 413 p.

Bibliothèque et Archives nationales du Québec, Fonds Yvon Guillou.

DRAPEAU, Jacques, «Le boulevard Champlain réservé au cyclisme?», Le Soleil, 16 mars 1979, p. B-8.

Fédération québécoise des sports cyclistes, Temple de la Renommée – Yvon Guillou.

Ville de Québec, «Fiche d’un bâtiment patrimonial – 270, rue Bayard», Répertoire du patrimoine bâti.

Ville de Québec, «Yvon Guillou», Toponymie.

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