On retrouve, sur différents immeubles de Québec, 142 plaques Ici vécut. Elles rappellent à nos mémoires des personnes qui ont marqué l'histoire de la ville. Lionel Faucher (1910-1990), mieux connu sous le nom de «Ti-Père», a marqué l'histoire du Carnaval de Québec, en transformant la défunte rue Sainte-Thérèse en rue carnavalesque.
Ici vécut : Lionel Faucher, au 579, rue Raoul-Jobin
On retrouve, sur différents immeubles de Québec, 142 plaques Ici vécut. Elles rappellent à nos mémoires des personnes qui ont marqué l’histoire de la ville. Lionel Faucher (1910-1990), mieux connu sous le nom de «Ti-Père», a marqué l’histoire du Carnaval de Québec, en transformant la défunte rue Sainte-Thérèse en rue carnavalesque.
Le 25 janvier prochain, la 70e édition du Carnaval de Québec se mettra en branle dans les différents quartiers de Québec.
À la frontière des quartiers Montcalm, Saint-Sacrement et Saint-Sauveur, vous pourrez notamment dévaler la côte de la Pente-Douce, dans le cadre de l’activité Cité de glisse, en soucoupes ou en tapis à neige (crazy carpets).
Les plus nostalgiques d’entre vous avez peut-être des souvenirs plus lointains du carnaval dans Saint-Sauveur, alors que la rue Sainte-Thérèse (aujourd’hui Raoul-Jobin) prenait des airs de fête, notamment grâce à Lionel Faucher (ou « Ti-Père »). Le sous-sol de sa maison, surnommé les Voûtes chez Ti-Père, a même accueilli des personnalités aussi diverses que Jean Drapeau, Jean Béliveau, René Lévesque, Pierre Elliott Trudeau, Dominique Michel, Grace de Monaco, Ginette Reno et Ed Broadbent, ancien chef du NPD, décédé dans les derniers jours.
Des monuments de neige aux veillées dans le sous-sol
Lionel Faucher, né en 1910, était originaire de l’île d’Orléans. Il travaillait comme mécanicien pour la Ville de Québec. Père de huit enfants, il a été marié avec Laurentia Létourneau (décédée en 1978), puis avec Rita Couture en deuxièmes noces.
Mais c’est surtout grâce à son rôle dans l’histoire du Carnaval de Québec que celui qu’on surnommait «Ti-Père» perdure dans nos mémoires.
Dès 1956, Raymond Gariépy, résident de la rue Sainte-Thérèse, construit une première sculpture de neige qui décore la rue : une girafe de 27 pieds qui regarde par la fenêtre du deuxième étage de sa résidence pendant le Carnaval.
Au cours des années suivantes, d’autres résidents participent à l’animation de la rue, dont Lionel Faucher et Paul Frenette.
Dans l’édition du Soleil du 31 janvier 1979, Claire Gariépy, épouse de Raymond, se rappelle de cette époque :
« On était toujours en fête […]. On commençait un mois à l’avance. Tout en travaillant, on passait prendre un coup dans chaque maison. […] Quand les enfants étaient endormis, on allait aider les sculpteurs […]. On passait la nuit à charrier la neige, l’eau à la chaudière, avec des visites chez l’un ou chez l’autre. »
Dans les premières années, Lionel Faucher recevait dans son sous-sol les sculpteurs, qui pouvaient s’y réchauffer.
« On s’amusait comme des fous. Il existait alors un esprit de famille inimaginable dans cette rue. Puis nous allions nous réchauffer dans le sous-sol chez Ti-Père, encore en terre battue, assis sur des boîtes de bois. Il fallait bien nous égoutter quelque part. Pendant que nos vêtements pissaient l’eau, Ti-Père nous faisait un petit caribou », racontait quand à lui le sculpteur Raymond St-Laurent, aussi un habitué de la rue Sainte-Thérèse, dans Le Soleil du 20 mars 1994.
La Voûte Chez Ti-Père, une institution du Carnaval
En 1964, les enfants de Lionel Faucher convainquent leur père de transformer le sous-sol en une véritable halte pour les sculpteurs. Ti-Père aménage un bar, un comptoir, quelques fauteuil de longs bancs de bois sur les murs.
Le 7 février 1964, c’est la naissance de la Voûte Chez Ti-Père, qui accueillera des carnavaleux de tous les horizons pendant plus de 25 ans. Autour d’un million de visiteurs auraient mis les pieds dans la résidence de Lionel Faucher, qui vibrait au rythme de la musique folklorique pendant le Carnaval.
Ce dernier reçoit également le titre de président du Comité de la Rue du Carnaval. Des milliers de curieux se rendent chaque année sur la rue Sainte-Thérèse pour admirer les monuments de neige ou prendre un petit verre chez Ti-Père.
Celui-ci s’est en effet fait connaître pour sa célèbre recette de caribou, qui mélangeait vin fortifié, gin et Ginger Ale, en plus d’un ingrédient gardé secret par Ti-Père.
Pour embarquer encore davantage dans l’esprit carnavalesque, Lionel Faucher intronisait chaque année de nouveaux membres dans l’Ordre de Ti-Père. La cérémonie comprenait notamment quelques claques au visage de la part de Ti-Père, en plus d’un coup d’annuaire sur la tête et un coup de 2×4 sur les fesses.
Dans ce reportage de l’émission Caméra 90, diffusé à TQS en 1990, on peut même voir brièvement le (très) jeune journaliste Luc Gélinas, qui couvre aujourd’hui les Canadiens de Montréal à RDS, pendant sa cérémonie d’intronisation.
Ces images montrent d’ailleurs la dernière année de carnaval de Lionel Faucher, puisque celui-ci s’est éteint le 14 août 1990, à l’âge de 79 ans. Il a été inhumé au cimetière de Sainte-Famille, à l’île d’Orléans.
Des célébrités, d’ici et d’ailleurs
La Voûte Chez Ti-Père était ouverte à tout le monde, mais la résidence de Lionel Faucher a quand même accueilli un grand nombre de personnalités très connues.
Paul Comtois, lieutenant-gouverneur du Québec, aurait ouvert le bal en 1964, en signant le livre d’or. D’autres personnalités politiques ont aussi mis les pieds, comme les premiers ministres provinciaux Jean Lesage, Jean-Jacques Bertrand, Robert Bourassa et René Lévesque, le premier ministre canadien Pierre Elliott Trudeau, le maire de Montréal Jean Drapeau et les maires de Québec Wilfrid Hamel, Gilles Lamontagne et Jean Pelletier.
D’ailleurs, Pierre Elliott Trudeau aurait emprunté la moto d’un policier pour se faufiler un chemin sur la rue Sainte-Thérèse.
Plusieurs joueurs de hockey ont aussi dégusté le caribou de Ti-Père. On peut penser à différents représentants des Nordiques, de même qu’à Maurice Richard, Jean Béliveau et même le gardien soviétique Vladislav Tretiak.
Côté culturel, des icônes québécoises comme La Poune, Yvon Deschamps, Ginette Reno et Michel Louvain ont visité la Voûte Chez Ti-Père. Lionel Faucher a également reçu chez lui William Shatner (le capitaine Kirk dans Star Trek), de même que la princesse Grace de Monaco, sans doute la plus importante célébrité internationale.
Aujourd’hui, nous avons accès à un grand nombre de photos de cette époque puisque Jocelyn Faucher, fils de Ti-Père, a déposé un Fonds d’archives à la Ville de Québec en 2018.
La vie après Ti-Père
Après le décès de Lionel Faucher, la rue Sainte-Thérèse n’a plus vécu le même niveau d’animation pendant le Carnaval. Le président du Carnaval, Jean Maheux, avait consulté les résidents de la rue avant l’édition 1991. Celui-ci constatait que plus de 80% des répondants ne souhaitaient plus de carnaval dans leur rue.
Un citoyen s’était d’ailleurs publiquement réjoui de la décision, dans un article du Soleil le 31 octobre 1990.
«C’était pas vivable ici pendant le Carnaval […]. Plus de 20 000 personnes nous envahissaient. On ne pouvait même plus stationner notre voiture dans l’entrée », déplorait alors Jacques Dorval, résident de la rue Sainte-Thérèse.
À l’époque, Jocelyn Faucher, fils de Ti-Père, soulignait qu’il n’avait pas été consulté, alors qu’il voulait faire revivre à sa façon l’époque de son père. D’ailleurs, il aurait au moins voulu que la Voûte Chez Ti-Père reprenne ses activités pendant le Carnaval, alors qu’il désirait offrir du caribou gratuitement aux visiteurs, en mémoire de son père.
Pendant des années, la Régie des permis d’alcool octroyait à la Corporation du Carnaval un permis pour vendre le caribou. Lionel Faucher devait alors verser une redevance à la Corporation. Son fils n’a pas bénéficié de la même clémence, alors que la Ville et les voisins s’opposaient à ce permis spécial. Ce fut également une fin de non-recevoir du côté de la Régie.
Faire revivre Ti-Père
En 1994, Jocelyn Faucher fait finalement revivre la Voûte Chez Ti-Père, qui s’installe de façon permanente à Place Royale. L’endroit est ouvert à l’année. En 2000, l’établissement déménage dans Saint-Roch, dans un local du Holiday Inn, sur la rue de la Couronne. Cette nouvelle aventure ne dure qu’un an avant la fermeture.
Dans les années subséquentes, on commémore la vie carnavalesque de la rue Sainte-Thérèse de diverses façons. En 1991, Michel Pigeon fabrique un buste de Ti-Père, présent dans le Palais de Bonhomme. En 2004, une plaque Ici vécut est apposée sur l’ancienne résidence de Lionel Faucher, sur la rue qui se nomme Raoul-Jobin depuis 2002.
Puis, en 2009, on reproduit en sculpture et en images l’ambiance de la rue Sainte-Thérèse dans le Palais de glace.
Finalement, en 2014, la Voûte Chez Ti-Père est recréée au Théâtre Petit-Champlain, à l’aide de la collection de photos de Jocelyn Faucher et d’autres membres de la famille.
Aujourd’hui, même si l’époque animée de la rue Sainte-Thérèse semble bien lointaine, parions que quelque part, Lionel Faucher offre quelques rasades de caribou à des membres de l’Ordre de Ti-Père.
Bon Carnaval!
Une section du site de la Ville de Québec rassemble la liste des plaques Ici vécut.
Sources :
BOUCHARD, Daniel, « Le caribou, une boisson alcoolisée », Inventaire des ressources ethnologiques du patrimoine immatériel.
BROUARD, Julie et Lise FOURNIER, « Pas de permis d’alcool pour les voûtes, mais un buste pour immortaliser Ti-Père », Le Soleil, 9 février 1991, p. A-13.
CHAMPAGNE, Pierre, « Sculpteur sur neige aux quatre coins du monde », Le Soleil, 20 mars 1994, p. C-8.
CURVALLE, Elyette, « Les Gariépy, ou 25 ans de sculpture sur neige », Le Soleil, 31 janvier 1979, p. A-10.
FOURNIER, Lise, « Le Carnaval de Québec laisse tomber la rue Sainte-Thérèse », Le Soleil, 31 octobre 1990, p. A-3.
HÉNAULT, Richard, « Même pour un ultime hommage à Lionel Faucher – Pas de caribou gratis pour les carnavaleux chez Ti-Père », Le Soleil, 7 février 1991, p. A-1, A-2.
LACHAUSSÉE, Catherine, « Une princesse chez Ti-Père », Radio-Canada, 16 février 2021.
LEMIEUX, Fernando, « M. Ti-Père, rue du carnaval, Québec », Le Soleil, 6 février 1971, p. 10.
MARCOTTE, Audrey, « Salut Ti-Père! », Monsaintsauveur, 6 février 2014.
MARISSAL, Vincent, « La Voûte Chez Ti-Père va revivre dans le Vieux-Québec », Le Soleil, 4 juin 1994, p. A-18.
PROVENCHER, Jean, « Curieux objets – Chez Ti-Père », Ville de Québec, 27 janvier 2020.
Le Soleil, Décès et avis divers, «FAUCHER, ”Ti-Père” Lionel», 15 août 1990, p. E-8.
VAILLANCOURT, Claude, « Des petites fenêtres sur le passé », Le Soleil, 16 septembre 2004, p. A-10.
Ville de Québec, « Chronoscope – 1965-1985. La Voûte chez Ti-Père ».
Ville de Québec, « Faucher, Lionel », Répertoire du patrimoine bâti.
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