Les rites funéraires ont bien changé

Auteur de D’Irlande, de Limoilou et d’ailleurs, Denys Hawey partage pour nos lecteurs et lectrices ses souvenirs de jeunesse. Il réfléchit ici aux rites funéraires et à leur évolution depuis l'époque de ses parents.

Les rites funéraires ont bien changé | 20 février 2022 | Article par Monlimoilou

Un salon funéraire du Vieux-Limoilou en 1972.

Crédit photo: Jocelyn Paquet (collection personnelle)

Auteur de D’Irlande, de Limoilou et d’ailleurs, Denys Hawey partage pour nos lecteurs et lectrices ses souvenirs de jeunesse. Il réfléchit ici aux rites funéraires et à leur évolution depuis l’époque de ses parents.

Mon père, que j’ai toujours appelé Pierre, me racontait avoir pris conscience de la mort à un très jeune âge. Il demeurait alors au 144 de la 5e Rue, tout près de l’église Saint-Charles-de-Limoilou. C’était en 1933. Il avait 5 ans.

Sa jeune sœur Yolande était décédée en bas âge. Elle avait presque 4 ans. Ce n’était pas la première fois dans la famille qu’un jeune enfant partait prématurément. À l’époque, la mortalité infantile était chose courante.

L’exposition des corps dans le salon

Pierre se rappellera toujours du petit cercueil blanc installé dans le salon. Il pouvait voir sa sœur qui y dormait paisiblement. Il ne saisissait pas complètement encore le sens de la mort, sa permanence.

Dans ce temps-là, les corps étaient exposés à la maison. La porte était toujours ouverte. Les parents, les voisins et les amis se relayaient pour soutenir mes grand-parents dans le deuil de leur petite Yolande. Ils « veillaient au corps ». On se concertait pour assurer une présence à toute heure, pendant trois jours et trois nuits.

Les tantes de Pierre passaient beaucoup de temps dans la cuisine à préparer les repas : sandwichs, petits pâtés, tartes, gâteaux et cafés.

Partout dans la maison, on pouvait entendre les gens qui récitaient des chapelets à intervalles réguliers. On entendait les prières comme une clameur douce, jusqu’à l’extérieur.

La nuit, les enfants vivants se retrouvaient dans leur chambre. Pierre partageait son lit avec son jeune frère Jocelyn. Les deux n’osaient échanger sur ce qui se passait en bas, dans le salon. Ils s’endormaient quand la fatigue gagnait sur la peur.

L’avènement des salons funéraires

Puis, dans les années 1940, les salons funéraires sont apparus graduellement. La pratique des corps exposés dans les résidences des défunts s’est cependant poursuivie à Québec, jusqu’après la guerre, après 1945.

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Quand mon arrière-grand-père Hawey, Jean-Baptiste Junior, est décédé en 1941, mon père avait 13 ans. J.-B. Jr., qu’on appelait « Bebé » – il était pourtant l’aîné d’une famille nombreuse! – avait été exposé dans le salon de sa résidence, sur la rue d’Argenson, à Saint-Sauveur. On peut encore voir aujourd’hui sa maison, à partir de la rue Saint-Vallier, derrière le stationnement de la pharmacie Jean Coutu.

Mon père m’avait raconté que, comme c’était la guerre, le fédéral faisait des « black-out » : dès que la sirène se faisait entendre, il fallait éteindre toutes les lumières partout, dans les maisons, dans les rues. Même les phares des voitures étaient couverts de noir pour réduire la lumière. Des soldats passaient de porte à porte pour s’assurer du respect de la consigne. L’exercice pouvait se poursuivre pendant plus de deux heures d’affilée.

Pendant ce temps, la famille et les proches poursuivaient la veille du corps à la noirceur, avec le défunt dans son cercueil illuminé de quelques cierges.

Mon premier rapport avec la mort

J’ai vécu mon premier rapport avec la mort en 1962. Mon jumeau et moi avions 8 ans. C’était notre première visite dans un salon funéraire. Il était situé sur la 1re Avenue, au coin de la 13e Rue, à Limoilou.

Mon oncle Jos. Audibert était décédé. Il n’avait que 51 ans. Nous l’avions côtoyé régulièrement lors des nombreuses soirées que notre famille organisait. En fait, il était mon grand-oncle, mais nous ne faisions pas la différence. C’était un homme jovial et il aimait nous taquiner.

Je n’arrivais pas à faire l’équation mentale du visage inerte et du corps étendu dans ce coffre, avec le souvenir de la personne riante que je connaissais. J’étais figé devant le corps et je fixais mon oncle Jos.

Un autre grand-oncle, que j’appelais mon oncle Jean, avait probablement perçu mon inconfort et, sans doute pour bien faire, il avait entrepris de démystifier la mort pour moi. Il m’avait approché, tout à côté du corps, pour prendre ma main et pour la déposer sur l’épaule de mon oncle Jos. Je n’avais vraiment pas apprécié et, par la suite, je m’étais assuré de maintenir une bonne distance entre l’un et l’autre des grands-oncles pour le reste de notre visite au salon funéraire.

La crémation et les urnes

La crémation des corps de personnes défuntes se pratique depuis longtemps, mais la majorité des Québécois catholiques pratiquants y étaient jadis réfractaires. La pratique de la crémation s’est répandue plus largement, au même rythme que la pratique religieuse déclinait.

De nos jours, très peu de personnes prévoient l’exposition de leur corps au salon funéraire et l’enterrement du corps « en bière ». La crémation est devenue la pratique usuelle et les restes du corps en cendres sont contenus dans des urnes qui, pour la plupart, sont conservées dans des columbariums.

La pratique de transmission des sympathies à la famille endeuillée, au salon funéraire, a cependant persisté jusqu’à récemment, accompagnée par la même occasion de la transmission massive de virus respiratoires et autres microbes, au moyen des poignées de mains chaleureuses et des bises réconfortantes.

Avec la pandémie de COVID-19, les rites funéraires et la pratique de la transmission des sympathies ont considérablement été réduites. On les a même annulées, à certaines périodes, en raison des mesures sanitaires.

En effet, au cours des deux dernières années, plusieurs cérémonies soulignant le décès de personnes ont été célébrées dans la plus stricte intimité, avec la possibilité d’y assister virtuellement sur Internet. Les marques de sympathies ont aussi été faites à distance, sur le site de la maison funéraire.

La question demeure entière à savoir quelles formes prendront dorénavant les rites funéraires, alors que nous vivrons dorénavant en période post-pandémique, mais toujours avec le virus.

Legs pour ses deux enfants et leurs propres enfants, D’Irlande, de Limoilou et d’ailleurs a fait l’objet d’un article sur Monlimoilou. L’histoire de famille et la vie de jeunesse de Denys Hawey, qu’il raconte en 426 pages enrichies de photos, est disponible exclusivement à la Librairie Morency.

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