Les locataires chinois d'André-Georges Lachance | 8 mai 2022 | Article par José Doré

Incendie au King Café au coin des rues Saint-Vallier Ouest et de Carillon, le 29 août 1933

Crédit photo: Le Soleil, Québec, 29 août 1933, p. 1 (BAnQ numérique)

Les locataires chinois d'André-Georges Lachance

En 1961, afin d’élargir la rue de Carillon entre les rues Elzéar-Bédard et Saint-Vallier Ouest, la Ville de Québec procède à la démolition d’une vieille maison de bois occupée depuis plus de 30 ans par des restaurateurs chinois, dont Yee « Edgar » Wong, propriétaire du On Luck Chop Suey House.

L’imprimeur de Saint-Sauveur

Le 4 mai 1912, pour la somme de 4 200 $, André-Georges Lachance, imprimeur de la rue de Villiers marié à Alexandrine Laveau, acquiert du marchand de cuir Joseph Beaulieu, agissant en son nom personnel et comme cessionnaire des biens du manufacturier de chaussures Joseph Pruneau, un terrain de 34 pieds de front sur la rue Saint-Vallier Ouest et de 83 pieds de profondeur sur la rue de Carillon. S'y trouve une maison de bois, le n° 866, rue « St-Valier[1] ».

Mesurant 30 pieds par 24 pieds, celle-ci occuperait aujourd’hui la moitié ouest de la rue de Carillon et serait voisine de l’entreprise Azimut Comptabilité, sise au 314, rue Saint-Vallier Ouest, face au parc Durocher.

Le 314, rue Saint-Vallier Ouest, autrefois voisin de la maison d'André-Georges Lachance au coin de la rue de Carillon
Crédit photo: José Doré - 27 octobre 2021

Un restaurant à saveur familiale

Au matin du 3 décembre 1919, installée depuis sept ans dans sa nouvelle demeure, la famille Lachance est forcée de quitter celle-ci à la hâte, en vêtements de nuit, afin d’échapper aux flammes. Les dommages sont considérables, principalement au rez-de-chaussée, l’étage supérieur ayant surtout souffert de la fumée. Selon un correspondant du journal La Presse, les pertes liées à cet incendie, évaluées à 1 500 $, étaient heureusement couvertes par les assurances[2].

Le temps venu de la reconstruction, en mars 1920, l’imprimeur de Saint-Sauveur décide de convertir une partie de son logement en « magasin ». Jusqu’en 1922, ce local commercial sera occupé par un restaurant, tenu d’abord par Abel Lachance, et ensuite par Joseph-Amédée Laveau[3]. Lesquels étaient respectivement le neveu et le beau-frère du propriétaire du 866, rue Saint-Vallier.

André-Georges Lachance, maître-imprimeur
Crédit photo: L'Action catholique, Québec, 2 juillet 1957, p. 8 (BAnQ numérique)

La bijouterie de J.-P. Dupuis

En 1924, résidant dans son nouvel immeuble de trois étages de la rue Carillon, érigé derrière sa maison de la rue Saint-Vallier, André-Georges Lachance peut désormais louer la totalité de son ancienne demeure à des commerçants[4]. La partie est, le n° 866, au coin de la rue Carillon, sert de lieu d’affaires à son beau-frère Joseph-Amédée Laveau, devenu marchand de fruits et de journaux, la partie ouest. Le n° 866½, abrite, quant à lui, une bijouterie, celle de J.-P. Dupuis[5].

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L’arrivée du Laurier Café

Cinq ans plus tard, un café chinois, le Laurier Café, fait son arrivée au 866, rue Saint-Vallier. Pendant deux ans, son propriétaire, Jack Fouy ou Fony, partagera la maison de bois de l’imprimeur Lachance avec le restaurant de J.-A. Lépine[6]. En 1931, ces deux commerces font place au King Café, propriété d’Harry Seto[7]. Deux ans après son arrivée, ce restaurateur d’origine chinoise, locataire du 866-866½, rue Saint-Vallier, est sauvé d’une mort certaine par ses voisins. Le 29 août 1933, vers trois heures du matin, alors qu’il dort paisiblement derrière son restaurant, il est extirpé de son sommeil et d’un bâtiment en flammes.

Après sept ans d’existence, le King Café disparaît à jamais du paysage de Saint-Sauveur. En 1938, il est remplacé par un magasin de chapeaux pour dames d’un nommé A. Deschênes, au n° 866, et par un café chinois, le Main Café de Lee Seto[8], au n° 866½.

Vers 3 heures, la nuit dernière, les pompiers ont eu à combattre un incendie dramatique, rue St-Vallier, coin de la rue Carillon. Le feu avait originé [sic] dans un restaurant chinois, le « King Café », situé au n° 866 ½ de la rue St-Vallier, construction d’un étage et demi en bois, non loin du cinéma « Le Français » […] On ne connaît pas exactement la cause du feu, mais on croit qu’il a pris naissance dans la cuisine du restaurant chinois dont le propriétaire, Harry [Seto], fut sauvé par des gens du voisinage […] Lorsqu’on découvrit les flammes, elles faisaient déjà rage à l’arrière du restaurant « King » où dormait paisiblement le propriétaire, Harry [Seto], que l’on dut sortir presque malgré lui tant il était effrayé […] La maison, où [l’incendie] était situé, est la propriété de M. A.-G. Lachance, maître-imprimeur dont les pertes sont partiellement couvertes par les assurances[9].

Casse-tête chinois

Dès l’année suivante, une nouvelle enseigne apparaît devant le 866½, rue Saint-Vallier, celle du Globe Café. Le 15 avril 1939, jour de son ouverture, une publicité parue dans Le Soleil rapporte que ce restaurant possède une « nouvelle salle à manger laquelle est appelée à devenir très populaire vu la propreté qui y règne et le bon service qui est donné aux clients ». Pour seulement 25 sous, on peut alors s’y procurer un « dîner régulier[10] ».

Ouvert pendant dix ans, ce commerce a d’abord comme propriétaire Lee Seto. À compter du 15 juin 1941, monsieur G.U. Wo Tong en prend la direction[11]. Comme la majorité des immigrants chinois, celui-ci était vraisemblablement connu sous plusieurs noms : G.U. Wo Tong, G.U. Wo Wong, Yee Wong, Edgar Wong, Yee Edgar Wong, Edgar Wong Yee, etc.

Monsieur Yee Edgard Wong et sa famille au restaurant Canton du 617, rue Saint-Vallier Est, en mai 1965
Crédit photo: Le Soleil, Québec, 12 mai 1965, p. 47 (BAnQ numérique)

Sans faire de jaloux, ces propriétaires du Globe Café ont chacun droit à des clients indésirables ayant à la fois un creux à l’estomac et une crampe au cerveau. Le 17 janvier 1940, pour la troisième fois en 15 jours, un jeune homme est accusé d’avoir causé du désordre dans le restaurant de Lee Seto, au 866½ rue Saint-Vallier.

Quelques jours plus tôt, après avoir insisté pour que deux individus soient sévèrement punis pour avoir causé du désordre au Globe Café et au restaurant Canton du boulevard Langelier, le greffier de la Cour du recorder, Me Georges Delisle, avait déclaré :

« Il semble y avoir persécution contre les Chinois de la part d’un certain groupe de jeunes gens. Les Chinois sont des citoyens paisibles. Ils ont droit au bon ordre. Il faut que les scènes désagréables qui se passent dans ces restaurants cessent. Il faut faire des exemples[12]. »

Cinq ans plus tard, c’est au tour de monsieur Tong ou Wong de recevoir la visite d’un « champion ». Le 17 août 1945, après avoir refusé de payer deux sacs de pommes de terre frites, un individu brise la porte d’été du Globe Café et menace ensuite le propriétaire avec une tringle qu’il a arrachée. Malheureusement pour cet amateur de frites gratuites, le restaurateur chinois dispose d’un marteau, et peut lui « clouer le bec ».

Café Chez Edgar 

Café Chez Edgar au 866½, rue Saint-Vallier, en novembre 1952
Crédit photo: AVQ, Ville de Québec, Q-A5-IC-N012350

En 1950, un nouveau restaurant occupe désormais le 866½, rue Saint-Vallier, Chez Edgar Café, propriété de G.U. Wo Wong[13]. À peine deux ans plus tard, celui-ci décide de changer le nom de son établissement. Ouvert le 6 décembre 1952, le On Luck Chop Suey House se vante alors d’offrir les meilleurs mets chinois et canadiens et des repas complets pour 50 sous et plus, entre 11 heures le matin et 8 heures le soir[14].

Afin de permettre l’élargissement de la rue de Carillon, ce restaurant est forcé de fermer ses portes au début des années soixante. La propriété d’André-Georges Lachance est acquise puis démolie par la Ville de Québec en 1961[15]. Monsieur Yee Edgar Wong, propriétaire du On Luck Chop Suey House, ouvre dès l’année suivante, avec Peter Ing, un nouveau restaurant à Saint-Roch, le Canton, au 617, rue Saint-Vallier Est, mais continuera jusqu’à sa mort, le 7 août 1973, à résider à Saint-Sauveur, dans son immeuble à logements du 270, rue Saint-Vallier Ouest[16].

L'immeuble abrite aujourd’hui l’organisme communautaire Le Pignon Bleu, qui a pour mission de favoriser la sécurité alimentaire des enfants et des familles de la ville de Québec. De nombreux repas y sont offerts, dont je présume, parfois, des mets chinois!

[1] BAnQ Québec, CN301,S458, Notaire Louis Savard, 6 mai 1912, n° 5514.

[2] La Presse, Montréal, 3 décembre 1919, p. 19.

[3] Édouard Marcotte, Québec-Adresses, 1920-1921, p. 360 ; 1922-1923, p. 349.

[4] AVQ, Urbanisme, Permis n° 9329, 5 juin 1924.

[5] Marcotte, Québec et Lévis Adresses, 1924-1925, p. 131 et 350 ; 1930-1931, p. 424 et 797.

[6] Marcotte, Québec et Lévis Adresses, 1929-1930, p. 403.

[7] Marcotte, Québec et Lévis Adresses, 1931-1932, p. 451.

[8] Marcotte, Adresses de Québec et Lévis, 1938-1939, p. 438.

[9] Le Soleil, Québec, 29 août 1933, p. 3.

[10] Le Soleil, Québec, 15 avril 1939, p. 16.

[11] Le Soleil, Québec, 10 juin 1941, p. 17.

[12] Le Soleil, Québec, 9 janvier 1940, p. 9 ; 17 janvier 1940, p. 9.

[13] Annuaire Marcotte Québec et Lévis, 1950-1951, Québec – Noms des rues, p. 323.

[14] Le Soleil, Québec, 6 décembre 1952, p. 26.

[15] L’Action catholique, Québec, 30 janvier 1961, p. 12 ; 12 avril 1961, p. 14.

[16] Le Soleil, Québec, 21 mai 1962, p. 13 ; 9 août 1973, p. 49.