Dans mon dernier article sur l’auberge de la Maison bleue, je remets en question la véracité de certains souvenirs d’Owen O’Sullivan (1798-1882) sans toutefois mentionner en quoi cet ancien résident de la Petite-Rivière-Saint-Charles avait une mémoire qui lui jouait des tours ou une tendance au sensationnalisme.
Owen O’Sullivan et ses souvenirs
Dans mon dernier article sur l’auberge de la Maison bleue, je remets en question la véracité de certains souvenirs d’Owen O’Sullivan (1798-1882) sans toutefois mentionner en quoi cet ancien résident de la Petite-Rivière-Saint-Charles avait une mémoire qui lui jouait des tours ou une tendance au sensationnalisme.
Noces d’or à Wendake
Le 13 avril 1876, une semaine après avoir relaté dans L’Opinion publique de Montréal le cinquantième anniversaire de mariage d’Owen O’Sullivan et de Marie Plamondon, célébré le 24 janvier précédent à la chapelle des Hurons de la Jeune-Lorette [Église Notre-Dame-de-Lorette à Wendake], un nommé A. N. M. partage cette fois-ci dans ce journal les souvenirs les plus lointains du « jeune marié ». Afin de donner de la crédibilité aux récits rapportés, A. N. M. avait pris soin de mentionner dans le numéro du 6 avril :
« M. O’Sullivan est doué d’une mémoire extraordinaire et sûre. Il n’a rien oublié de tout ce qu’il a vu ou éprouvé depuis 70 ans. Ses récits imagés, semés d’anecdotes, de proverbes ou de sentences bibliques, saisissent l’auditeur d’un vif intérêt […] J’écris donc sur des données, ou plutôt je coordonne les notes que m’a fournies M. O’Sullivan lui-même[1]. »
Souvenirs rapportés
Douze ans après le décès de Margaret McKane, survenu le 2 avril 1864, voici ce que raconte Owen O’Sullivan au sujet de cette femme et de son auberge :
« Sur la grande route qui conduit à Lorette, passé l’Hôpital-Général, se trouvait la maison Bleue, qui existe encore, et la maison Rouge, plus considérable, qui est disparue pour faire place à la résidence bourgeoise de M. Tozer, maître-boucher. Un nommé Jobin occupait la maison Bleue. Elle devint ensuite la propriété d’un sergent du nom de Simpson, qui y mourut et dont la veuve, peu agréable de sa personne, mais riche, épousa un fort bel homme du nom de Gibson, qui ne fit pas longtemps son bonheur […] Mais je parlais du beau Gibson. Son âme mentait à son corps, paraît-il, car en un jour néfaste il tua un homme, et se sauva. On ne put le pincer, mais à quelque temps de là, il fut trouvé mort un matin sur le bas de sa porte, à peu près au même endroit où était tombée sa victime. Et madame Gibson se remit à manger tranquillement ses rentes[2]. »
Ces souvenirs d’Owen O’Sullivan sont bien sûr très intéressants, mais complètement faux, voire diffamatoires. Suivant leur publication, Margaret McKane et ses trois époux, Thomas Simpson (1790-1822), Andrew Gibson (1799-1838) et Robert Ward (1791-1873), ont dû se retourner simultanément dans leur tombe et crier de toutes leurs forces : “What the f*ck !”
Mener en bateau
Dans sa jeunesse, de 1812 à 1822, Owen O’Sullivan, né en 1798, résidait non loin de la Maison bleue. Ses parents occupaient la ferme de Pierre-Édouard Desbarats située sur la rive nord de la rivière Saint-Charles, près du supermarché IGA Poulin du boulevard Wilfrid-Hamel. Lorsque monsieur Desbarats venait y passer l’été, dans sa maison de pierre à deux étages, Owen O’Sullivan était apparemment responsable de son embarcation :
« M. P. E. Desbarats avait acheté un bateau, avec rames, voiles, ancres, etc., dans lequel, à marée haute, il remontait la rivière St. Charles jusqu’au pont Scott. C’était lui, Owen, qui agissait en qualité de capitaine[3]. »
À pied ou en bateau, le jeune Owen a dû passer à maintes reprises devant la Maison bleue, propriété, avant Thomas Simpson et Margaret McKane, d’Étienne Desroches dit Laliberté. Celui-ci en a fait l’acquisition en 1808 de Louise Gauvreau, veuve d’Étienne Ménard, et de ses enfants[4]. Mais qui était donc ce « Jobin » qui aurait occupé la Maison bleue avant le sergent Simpson? À compter du 4 mai 1813, un nommé Joseph Jobin a annoncé dans le Quebec Mercury qu’il avait déménagé son auberge du faubourg Saint-Jean à la Petite-Rivière-Saint-Charles, dans la maison communément appelée Maison rouge[5]. Celle-ci se trouvait également sur le chemin de Lorette, où le stationnement public de Saint-Vallier Ouest, voisin du Pignon bleu. Le « Jobin » d’Owen serait-il alors ce Joseph Jobin? Cela est fort probable.
Mémoire extraordinaire et sûre
Contrairement à ce qu’affirmait A. N. M., la mémoire d’Owen O’Sullivan n’était pas infaillible. Ses souvenirs « sures » de la Maison bleue en sont la preuve. Thomas Simpson n’est pas mort à Québec, mais à Kingston, Haut-Canada, le 18 janvier 1822. Andrew Gibson, ce « fort bel homme » qui avait épousé une veuve « peu agréable de sa personne, mais riche », selon O’Sullivan, n’était pas un meurtrier, ne s’est jamais sauvé de la justice et n’a pas été retrouvé mort au pied de sa porte, « à peu près au même endroit où était tombée sa victime ».
Le second époux de Margaret McKane est décédé accidentellement à quelques pas de son lieu de travail, dans le secteur des Nouvelles-Casernes, au mois d’août 1838. Marié en septembre 1822, celui-ci « fit donc le bonheur » de Margaret McKane pendant près de 16 ans. Après la perte de son époux, « Madame Gibson » s’est-elle remise à « manger tranquillement ses rentes »? Aucun document consulté jusqu’à ce jour ne corrobore cette déclaration. Nous savons par contre qu’elle s’est remariée en 1856 avec Robert Ward et a conservé jusqu’à sa mort la propriété de la Maison bleue. Et quelles sont les chances qu’une femme d’aubergiste, travaillant constamment avec le public, soit « peu agréable de sa personne »?
Aller aux sources!
N’est-ce pas étrange que la majorité des souvenirs concernant la Maison bleue, pour ne pas dire la totalité, soient faux ou douteux? Ceux-ci auraient-ils été mal rapportés par l’auteur A. N. M.? Ce dernier les aurait-il déformés volontairement afin d’augmenter son lectorat? Ou est-ce Owen O’Sullivan qui en beurrait épais?
Afin d’éviter de partager des faussetés, sur Facebook ou ailleurs, il est important de se questionner sur la véracité d’un fait. Mais puisque cela exige temps et effort, les apôtres de la « bonne fausse nouvelle » sont donc très nombreux. Pourtant, aller aux sources permet de sa rafraîchir la mémoire.
« Vol. Lundi soir dernier [le 18 novembre 1833], un peu après la brunante, le nommé Bazile Gignac et un autre, ont enlevé de la ferme de M. Gibson, maison-bleue sur le chemin de Lorette, quatre bœufs appartenant à un Monsieur Smith. Monsieur Gibson, aidé de Owen Sullivan [O’Sullivan] se sont mis en poursuite, et les ont découverts tués dans une boucherie, faubourg St. Jean, et leurs carcasses ont été remises à M. Smith[6]. »
[1] L’Opinion publique, Montréal, 6 avril 1876, p. 165.
[2] Ibid., 13 avril 1876, p. 176.
[3] Ibid.
[4] BAnQ, Québec, CN301,S16, Notaire Jean Bélanger, 24 novembre 1808, n° 1184; 3 février 1817, n° 6585.
[5] The Quebec Mercury, 4 mai 1813, p. 7.
[6] L’ami du peuple, de l’ordre et des lois, Montréal, 27 novembre 1833, p. 3.
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