Laurentia : Le photoshopage d’un projet

Dans le texte suivant, Jean Lacoursière, administrateur d'Accès Saint-Laurent Beauport, réagit aux récents propos dans les médias de l’Administration portuaire de Québec concernant le projet Laurentia.

Laurentia : Le photoshopage d’un projet | 21 décembre 2020 | Article par Monquartier

Crédit photo: Jean Cazes

Dans le texte suivant, Jean Lacoursière, administrateur d’Accès Saint-Laurent Beauport, réagit aux récents propos dans les médias de l’Administration portuaire de Québec concernant le projet Laurentia.

Le projet Laurentia de l’Administration portuaire de Québec (APQ) consiste à remblayer 14 hectares de milieu aquatique (17 terrains de football canadien, zones des buts incluses) au bout de la moitié sud de la péninsule de Beauport, à côté de la populaire plage urbaine, et de louer pour 60 ans cette nouvelle plateforme à une entreprise chinoise qui y transborderait des conteneurs. Le pdg de l’APQ, Mario Girard, est parti en croisade médiatique pour dorer la pilule de son projet. On en entend et on en lit des bonnes!

Le 18 décembre, en entrevue à l’émission radiophonique matinale Première heure de Radio-Canada à Québec, le pdg de cet organisme fédéral (autonome) qu’est l’APQ a dit à l’animateur Claude Bernatchez que, dans la deuxième action collective des citoyens Duchesne et Lalande contre Compagnie d’arrimage de Québec et APQ, les deux parties avaient été d’accord pour dire que les activités de transbordement maritime de matières solides en vrac dans le secteur Beauport du port étaient responsables de moins de 3 % des poussières dans Limoilou. Cela est faux! Les citoyens ont même porté la cause en appel, une démarche relayée par les médias en septembre.

Mario Girard a poursuivi en faisant une comparaison tellement malhabile qu’on la lui pardonnera. Il a relativisé l’impact de la construction de Laurentia sur la qualité de l’air déjà pollué de Limoilou :

« [Le nouvel] Hôpital de l’Enfant-Jésus, si ça avait passé par le même processus [d’évaluation environnementale que Laurentia], ce serait la même chose, on arriverait à la même conclusion : dépassement de normes, donc qualité de l’air, donc danger pour la santé humaine.  »

Outre le caractère spéculatif de cette affirmation, elle fait abstraction de la différence de pertinence entre construire un hôpital au centre-ville et y remblayer le fleuve sur 14 hectares pour y transborder des marchandises. Elle donne aussi l’occasion de rappeler que le plus grand émetteur industriel de particules totales (PST) dans l’air de Québec, et cela de loin, est le locataire principal de l’APQ près de Limoilou (Compagnie d’arrimage de Québec). Cette entreprise y fait de la manutention et de l’entreposage à ciel ouvert de matière solides en vrac, dont beaucoup de minerais. En 2017, dernière année disponible del’inventaire national des rejets de polluants (INRP), cette entreprise a émis 28 tonnes de PST dans l’air, soit 61 % des rejets totaux déclarés à l’INRP par les cinq entreprises répertoriées.

Lorsque questionné par Bernatchez sur l’augmentation nuisible du camionnage à travers la ville que causerait Laurentia, le pdg a tenté de rassurer l’animateur en disant que les 180 passages quotidiens de camions entre 5 h et 15 h (1 semi-remorque toutes les 3,3 minutes) surviendraient seulement en… 2035. Or, il resterait à ce moment-là… 45 ans au bail de 60 ans de son locataire chinois Hutchison Ports!

Dans une approche de type « on verra », Mario Girard a poursuivi son boniment chez Bernatchez en faisant le pari qu’en 2035, les camions fonctionneraient à l’électricité ou seraient hybrides, donc moins polluants. Évidemment, il omet systématiquement de mentionner les autres irritants du camionnage : bruit (lourdes vibrations), congestion, cyclistes coincés, enfoncement de la chaussée. Bizarrement, l’APQ n’a jamais démontré comment diable des parts modales de 10 % – 90 % (camions – trains) pouvaient être réalistes : les ports de Montréal, Contrecœur (projet), Halifax, New-York – New Jersey, ont plus de 50 % de leurs conteneurs qui partent ou arrivent par camion. Vraisemblablement, c’est donc à au moins 900 passages de camions en ville qu’il faudrait s’attendre si Laurentia était réalisé (au moins 1 semi-remorque toutes les 40 secondes), un scénario redouté par l’expert maritime Brian Slack, professeur émérite à l’Université Concordia :

« Les liaisons ferroviaires à Québec sont mauvaises et, par conséquent, la plupart des conteneurs seraient transportés par camion vers Montréal et au-delà. […] L’utilisation inévitable du camionnage par la plupart des conteneurs manutentionnés au port de Québec représente un enjeu environnemental et sécuritaire important. »

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Revenons aux demi-vérités lancées par l’APQ dans cette croisade médiatique. Dans une entrevue à Radio-Canada le 17 décembre, l’APQ affirme ceci :

« Le projet Laurentia va entraîner à terme l’ajout d’un seul bateau par semaine sur le fleuve Saint-Laurent. »

Or, le document de l’APQ remis à l’Agence d’évaluation d’impact du Canada (AEIC) affirme plutôt ceci :

« Le nombre de navires par semaine variera avec un maximum anticipé de trois navires par semaine, ce qui représente entre 52 (1 par semaine) et 156 navires (3 par semaine) par année (chargement et déchargement). »

Voilà un bel exemple de l’expression monter un bateau!

Dans une lettre ouverte publiée par Le Soleil le 19 décembre, Mario Girard tente de manière ahurissante de faire croire que Laurentia serait une manière de renforcer nos défenses contre les pandémies comme la COVID-19 :

« Qu’a-t-on vu avec la pandémie? Des ruptures de stock aux conséquences parfois sérieuses! La pertinence de Laurentia est aujourd’hui criante. »

Oui, si Laurentia avait été là, on aurait eu des masques à temps!

L’APQ a même réussi à cadrer les enjeux de Laurentia dans un faux dilemme entre la qualité de vie à Québec et le sauvetage de la planète. Dans sa chronique parue dans Le Soleil le 19 décembre et mettant en vedette le maire Régis Labeaume, François Bourque écrit en citant le maire :

« ‘‘Au niveau du développement durable, c’est clair que Laurentia c’est gagnant’’ dit-il. Objectivement, il a raison. Si un terminal à Québec permet que des conteneurs destinés au Midwest américain fassent une plus longue route sur le Saint-Laurent sur de plus gros bateaux, il restera moins de route à faire par train ou par camion [plus polluants] pour atteindre Chicago. […] À l’échelle continentale, Laurentia semble donc intéressant. C’est au plan local que ce l’est moins. Les citoyens de Québec ont-ils le goût de sacrifier leur paysage et de mettre à risque leur qualité de vie ou celle de l’air pour un bénéfice environnemental planétaire difficile à mesurer? »

Ainsi, en s’opposant à Laurentia, les gens de Québec risquent d’agir égoïstement. Surtout que ce terminal à conteneurs est passé, pendant cette croisade médiatique, de « plus vert en Amérique du Nord » à « plus vert au monde »! Ce faux dilemme écarte le fait que même si Laurentia se réalisait, des porte-conteneurs de 6000 EVP continueront de pouvoir remonter le Saint-Laurent jusqu’à Montréal (et Contrecœur si réalisé), ce qui réduit la distance terrestre à parcourir vers l’ouest par rapport à Québec. Quelle grosseur de navire est visée par Laurentia? Citons un document que l’APQ a remis à l’AEIC :

« Les plus gros navires pourront transporter jusqu’à 13 100 EVP chacun, bien que pendant les premières années d’exploitation, il est plutôt attendu que le terminal accueille des navires de 4 500 à 6 800 EVP, pour des échanges de conteneurs prévus (chargement et déchargement) allant jusqu’à 5 000 EVP par navire. »

Laurentia tenterait donc d’arrêter à Québec des navires pouvant se rendre à Montréal! Par ailleurs, quel est l’intérêt, pour un navire de 13 100 EVP, de remonter le Saint-Laurent pour accoster à Québec à côté d’une cour à conteneurs d’une capacité maximale de… 11 139 EVP? Une telle cour semble attirante pour des navires transportant plutôt 5 570 EVP (la moitié de la capacité de la cour). Une cour à moitié pleine peut alors accueillir tous les conteneurs du navire et le recharger potentiellement à ras bord.

La croisade médiatique de l’APQ utilise aussi la novlangue pour subtilement adoucir le projet dans l’esprit des gens. Son sous-traitant Alain Dubuc affirme ceci dans une lettre ouverte publiée par Le Soleil le 18 décembre :

« Québec […] peut concurrencer avantageusement des ports comme ceux de New York ou de la Virginie pour desservir le cœur industriel américain. Ces activités auraient pour effet de renforcer l’écosystème du fleuve Saint-Laurent et d’enrayer le déclin relatif qui menace le fleuve s’il ne peut pas s’ajuster aux nouvelles réalités du transport maritime. »

Écosystème? Mais où est donc passée la notion d’industrie maritime!

Remblayer 14 hectares de milieu aquatique, est-ce bon pour la planète? Agrandir un port de marchandises à un endroit enclavé par une population dense à travers laquelle les marchandises devraient sortir, est-ce intelligent? Comment ne pas qualifier l’entreprise Laurentia de monumentale erreur de jugement? Depuis les tumultueuses réunions publiques de consultation sur le projet de plan d’utilisation des sols de l’APQ à l’automne 2000, jusqu’à aujourd’hui, chaque apparition de ce projet incongru a suscité la grogne populaire. Une telle déconnexion des aspirations de la collectivité locale épuise la population et a déjà couté à l’APQ 12 millions $ en études de toutes sortes depuis 2015. Patenter des projets connus pour n’avoir aucune acceptabilité sociale est un gaspillage de temps et d’argent. C’est le contraire d’une saine gestion.

Jean Lacoursière, administrateur d’Accès Saint-Laurent Beauport

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