Au printemps 1864, près de l’actuel Hôpital du Sacré-Cœur de Jésus, une femme du nom de Margaret McKane, âgée de 73 ans, est retrouvée morte sur sa propriété de la Maison bleue. Selon l’enquête du coroner, elle se serait noyée après être tombée dans son puits.
L’auberge de la Maison bleue – 2 de 2
Au printemps 1864, près de l’actuel Hôpital du Sacré-Cœur de Jésus, une femme du nom de Margaret McKane, âgée de 73 ans, est retrouvée morte sur sa propriété de la Maison bleue. Selon l’enquête du coroner, elle se serait noyée après être tombée dans son puits.
En deuil d’Andrew Gibson
Huit mois après la mort accidentelle de son second mari, Margaret McKane, mère de deux jeunes enfants, Henrietta[1] et David Gibson[2], âgés respectivement de 14 et 12 ans, voit James Hasting Kerr[3] annoncer dans la Quebec Gazette la vente de sa propriété connue sous le nom de Maison bleue. Située sur le chemin de Lorette [rue Saint-Vallier Ouest], à la hauteur de l’avenue du Sacré-Cœur, cette ferme d’environ dix-huit arpents carrés de superficie comprend alors une « excellente maison », de « vastes dépendances » et un « jardin d’une grande valeur[4] ».
Ça glousse au jour de l’An!
Quelques années plus tard, le 2 août 1844, Margaret McKane – qui est toujours propriétaire de sa ferme de Little River St. Charles[5] et a décidé d’aller vivre à Montréal – loue à John Jose, fermier de la paroisse de Québec, la « grande maison bleue » abritant une auberge de six lits[6]. Elle se l’était réservée l’année précédente, lors de la signature d’un bail avec le locataire actuel[7].
S’inspirant du passé, John Jose organise à son tour, le 1er janvier 1846, une compétition de tir pour des dindes, fort probablement bien arrosée, à l’auberge de la Maison bleue[8]. Heureusement, à cette époque, le sentier linéaire de la rivière Saint-Charles n’était pas encore aménagé. Ce qui suit n’a donc pu être entendu : « Mon amour, je t’ai ramené une dinde. Il te reste juste à lui enlever ses skis »!
Pour les voisins de la Maison bleue, ce n’était pas la dernière fois qu’ils entendaient une chorale de dindes glousser au jour de l’an. Le 28 décembre 1848, Henry Robinson, nouveau locataire de Margaret McKane, annonce dans le Quebec Mercury qu’il se tiendra à la Blue House Hotel, chemin de la Petite-Rivière, le premier janvier suivant à midi, une compétition de tir pour des dindes vivantes[9].
La ruée vers l’âge d’or
Tout comme ces volatiles, Margaret McKane s’apprête à vivre à Montréal des moments difficiles. Après le départ de sa fille Marguerite Simpson, mariée à William Bonnalie, pour Port Robinson[10], Niagara, et de son fils Thomas Simpson pour New York[11], ses enfants issus de son second mariage, David et sa sœur Henrietta Gibson, mariée à Joseph Ewing, quittent pour la Californie en 1850[12]. L’année suivante, son beau-frère George Gibson, agent des douanes, et son épouse Jemima Miller rendent l’âme à une semaine d’intervalle à Montréal[13].
Ayant perdu plusieurs membres de sa famille, Margaret McKane choisit de revenir vivre à Québec, où, le 27 novembre 1856, elle unit sa destinée à une vieille connaissance, Robert Ward, briquetier de la Petite-Rivière-Saint-Charles et ancien sergent du 103e régiment d’infanterie de Sa Majesté[15]. En 1861, ces deux septuagénaires partagent la Maison bleue avec un jeune couple d’Irlandais, le fermier Andrew McHugh et son épouse Mary Ann Berrigan, et la mère de celle-ci, Ellen Ryan[16].
Et « puits » vient la fin
Le 2 avril 1864, vingt-six ans après la mort tragique de son second époux décédé à la suite d’une chute, Margaret McKane, âgée de 73 ans, est retrouvée noyée dans un puits, sur sa propriété de la Petite-Rivière-Saint-Charles[17]. Elle est inhumée trois jours plus tard au cimetière Mount Hermon, le long du chemin Saint-Louis[18]. Quelques mois avant son décès, en raison de l’amour et de l’affection qu’elle vouait à ses petites-filles Henrietta et Angelique Margaret Bonnalie, enfants de feu Margaret Simpson, Margaret McKane leur avait légué sa moitié indivise de la propriété de la Maison bleue. Cette part lui appartenait en sa qualité de commune en biens avec feu Thomas Simpson, son premier époux, ancien sergent du 103e régiment d’infanterie de Sa Majesté.
« Samedi dernier, une femme du nom de Ward, demeurant près de la petite rivière Saint-Charles, a été trouvée noyée dans un puits[19]. »
D’une communauté à l’autre
Cinquante ans environ après son acquisition par Thomas Simpson et Margaret McKane, la propriété de la Maison bleue est vendue, le 24 avril 1868, par les héritiers de ce couple, à la Compagnie du chemin de fer des rues de Québec. Celle-ci, en raison vraisemblablement d’une entente, la revend quelques jours plus tard, pour le même prix, soit 1 100 £, aux Sœurs de la Charité de Québec. En début d’année, celles-ci avaient loué leur future propriété – pour le terme et espace d’une année, et ce, à compter du premier mai suivant – à François Lefebvre, commerçant de lait de la paroisse de Saint-Roch[20].
Le 17 avril 1871, « le lot de terre situé en la banlieue de Québec, au lieu appelé la Petite-Rivière-Saint-Charles, en la paroisse de Saint-Sauveur faisant ci-devant partie de la paroisse de Saint-Roch de Québec, connu sous le nom de propriété de la Maison bleue » est abandonné par les Sœurs de la Charité aux Dames Religieuses de l’Hôpital général de Québec, au prix initialement payé de 1 100 £ ou 4 400$. Le mois suivant, cette dernière communauté se voit offrir par le notaire Louis Falardeau la terre située à l’est de sa nouvelle acquisition « dans le but de contribuer à la fondation d’un hôpital destiné au soulagement des pauvres malades et devant être érigé sur la dite terre et être appelé l’Hôpital du Sacré-Cœur de Jésus[21] ».
Le blues de la Maison bleue
L’auberge de la Maison bleue, qui a marqué pendant plusieurs années le paysage de Saint-Sauveur, aurait été détruite à la fin du 19e siècle. En 1873, l’année du décès de Robert Ward[22], les Révérendes Dames Religieuses de l’Hôpital du Sacré-Cœur de Jésus en font mention dans un contrat octroyé à Jean Jobin, agriculteur de la paroisse de Saint-Sauveur. Trois ans plus tard, on rapporte dans L’Opinion publique de Montréal, dans un article sur les souvenirs, parfois mélangés, d’un vieux résident de Québec, Owen O’Sullivan, que « sur la grande route qui conduit à Lorette, passé l’Hôpital-Général, se trouvait la maison Bleue, qui existe encore[23] ». En 1901, dans son livre intitulé Le Vieux muet ou un Héros de Châteauguay, Jean-Baptiste Caouette mentionne, quant à lui, sa démolition[24].
La Maison bleue n’est plus, mais son terrain demeure disponible pour de nouvelles « plantations ». Et puisque son histoire est une source d’inspiration, pourquoi ne pas y puiser une Margaret McKane, soit une bière de type Scotch Ale brassée à sa mémoire?
« Jean Jobin de la dite Paroisse de St. Sauveur, agriculteur, lequel s’est volontairement mis en service par ces présentes comme jardinier et serviteur pour le terme et espace d’une année qui commencera à courir du premier jour de mai prochain [1874] et finira, le trentième jour d’avril 1875, chez les Révérendes Dames Religieuses de l’Hôpital du Sacré-Cœur de Jésus à Québec, [lesquelles promettent] de lui payer vingt piastres par mois pendant le dit temps, de le loger lui et sa famille, de lui donner la jouissance et le revenu d’une petite pièce de terrain servant de jardin au côté ouest de la Maison bleue qu’il aura le droit de cultiver pour son profit, de lui fournir un pinte de lait à chaque jour du susdit terme et de lui procurer des chevaux et voitures pour transporter son bois de chauffage en sa demeure[25]. »
À lire aussi : L’auberge de la Maison bleue : 1 de 2
[1] St. Andrew’s Presbyterian Church of Quebec, 19 septembre 1824, folio 41v.
[2] St. Andrew’s Presbyterian Church of Quebec, 1er novembre 1826, folio 67r.
[3] BAnQ, Québec, CN301,S81, Notaire William De Léry, Assignment in trust : Margaret McKane, widow of Andrew Gibson to James Hasting Kerr, 2 mai 1839, n° 2612.
[4] The Quebec Mercury, 18 mai 1839, p. 4.
[5] Petite-Rivière-Saint-Charles.
[6] BAnQ, Québec, P1000,S3,D59, Listes de 251 aubergistes de la région de Québec. 1844.
[7] BAnQ, Québec, CN301,S138, Notaire Josiah Hunt, 2 novembre 1844 ; 2 août 1844.
[8] The Quebec Mercury, 27 décembre 1845, p. 3.
[9] The Quebec Mercury, 28 décembre 1848, p. 3.
[10] Trinity Chapel Anglican Church, Montréal, 29 septembre 1844, folio 16v-17.
[11] New York State Census, 1855, Thomas Simpson, E.D. 2, Southfield Township, Richmond, New York.
[12] The Humboldt Times, Eureka (California), 6 avril 1910, p. 5.
[13] Second Congregational Church, Montréal, 25 septembre 1851, folio 6.
[14] The Quebec Mercury, 24 juin 1847, p. 3.
[15] St. Peter’s Anglican Church, Quebec, 27 novembre 1856, folio 16.
[16] BAC, Recensement de 1861, Marguerite Mchane [Margaret McKane], Québec, Québec (Saint-Roch), p. 502, ligne 38, C-1308-1309.
[17] BAnQ, Québec, TL31,S26,SS1,D44. Enquête du coroner.
[18] Registre d’inhumation du Mount Hermon Cemetery, Margaret Ward, 2 avril 1864, n° 2111.
[19] Le Journal de Québec, 7 avril 1864, p. 2.
[20] BAnQ, Québec, CN301,S98, Notaire Louis Falardeau, 10 février 1868, n° 3231; 8 septembre 1868, n° 3258; 14 mai 1868, n° 3262.
[21] Les archives du Monastère des Augustines de Québec, HDSC-SC1-A1.1,2:2, Acte de la fondation de l’Hôpital du Sacré-Coeur de Jésus à Québec, dans la paroisse Saint-Sauveur.
[22] Le 19 juin 1873, Robert Ward, veuf de Margaret McKane, décède à l’asile Finlay de Québec, à l’âge de 82 ans. Ce natif d’Angleterre est inhumé au cimetière Mount Hermon, à côté sa défunte seconde épouse. Registre d’inhumation du Mount Hermon Cemetery, Robert Ward, 19 juin 1873, n° 4299.
[23] L’Opinion publique, Montréal, 13 avril 1876, p. 176.
[24] Jean- Baptiste Caouette, Le Vieux muet ou un héros de Châteauguay, Québec, 1901, p. 29.
[25] BAnQ, Québec, CN301,S98, 4 avril 1874, Notaire Louis Falardeau, n° 3908.
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