L’auberge de la Maison bleue – 1 de 2

Saviez-vous que le jardin communautaire biologique le Tourne-Sol, dans le quartier Saint-Sauveur, au coin de la rue de Montmartre et de l’avenue du Sacré-Cœur, se trouve sur l’ancienne propriété de la Maison bleue, auberge célèbre de la banlieue de Québec, ayant appartenu à Margaret McKane ?

L’auberge de la Maison bleue – 1 de 2 | 10 octobre 2020 | Article par José Doré

Propriété de la Maison bleue du quartier Saint-Sauveur.

Crédit photo: Google Earth 2020

Saviez-vous que le jardin communautaire biologique le Tourne-Sol, dans le quartier Saint-Sauveur, au coin de la rue de Montmartre et de l’avenue du Sacré-Cœur, se trouve sur l’ancienne propriété de la Maison bleue, auberge célèbre de la banlieue de Québec, ayant appartenu à Margaret McKane ?

Une terre à la petite rivière Saint-Charles

En 1817, l’époux de Margaret McKane, Thomas Simpson, sergent du 103e régiment d’infanterie de Sa Majesté, alors stationné à Québec, achète d’Étienne Desroches dit Laliberté, sellier de cette ville, une parcelle d’un lot de terre situé au lieu nommé Petite-Rivière-Saint-Charles, bornée par devant au chemin de Lorette [rue Saint-Vallier Ouest] et du côté Est à la terre de Charles Monier. Trois ans plus tard, l’ancien sergent Simpson acquiert le reste de la terre que le vendeur s’était réservé[1]. Aujourd’hui, ce lot irait de l’avenue du Sacré-Cœur à l’Hôtel du Nord et de la rue Saint-Vallier Ouest à la rivière Saint-Charles[2].

En mai 1821, se trouvant à Kingston, Haut-Canada (Ontario), en raison de son emploi de messman[3] pour les officiers du 76e régiment d’infanterie légère de Sa Majesté, Simpson loue pour un an sa propriété de la Petite-Rivière-Saint-Charles, comprenant une maison en bois, un hangar, une écurie et des étables, à Charles Strickland[4], aubergiste de Québec. Le 18 janvier 1822, malade depuis quelques semaines, Thomas Simpson rend l’âme à Kingston, âgé seulement de 32 ans[5].

Vue d’une partie de l’ancienne propriété de la Maison bleue – 19 septembre 2020
Crédit photo: José Doré

Les Écossais de Saint-Sauveur

Suivant la perte de son époux, Margaret McKane revient vivre à Québec, où elle ne tarde pas à se remarier. Le 23 septembre suivant, après seulement huit mois de veuvage, elle épouse à l’église presbytérienne St. Andrew’s, à l’angle des rues Cook et Sainte-Anne, un fermier aubergiste du nom d’Andrew Gibson[6]. Sa propriété du chemin de Lorette ayant été louée jusqu’au premier mai 1823 à l’aubergiste John Holgate[7], Margaret et son second époux, tous deux d’origine écossaise, doivent attendre quelque peu avant de s’installer dans la « Maison bleue », propriété de couleur azur, tel le bleu du drapeau de l’Écosse.

« Tous les Québécois ont connu la « Maison bleue », ou en ont entendu parler. Elle n’avait rien de remarquable, cependant, si ce n’est sa couleur d’azur qu’elle a conservée jusqu’au jour de sa démolition, c’est-à-dire durant un siècle environ. C’était une modeste construction en bois, à un étage, située sur la rue Saint-Vallier, au sud-ouest de l’hôpital du Sacré-Cœur, à Saint-Sauveur[8]. »

L’homme qui planta des choux!

Le 31 août 1827, grâce à l’hospitalité d’Andrew Gibson, plusieurs fermiers du district de Québec se réunissent à la Maison bleue dans le but de former une association pour l’amélioration de l’agriculture, la British Pratical Farmer’s Society[9]. Dès le 5 octobre suivant, un concours de labourage et d’expositions d’animaux est organisé par cette nouvelle société sur la ferme de William Bonnalie[10], située au nord-ouest du pont Scott, où se trouve l’actuel Marché du store. Tandis qu’Andrew Gibson y remporte le prix de la meilleure vache en bas de 7 ans, John Young, son employé, se voit décerner le 5e prix du concours de labourage[11].

Trois ans plus tard, toujours impliqué dans cette association dévouée aux améliorations des activités agricoles, Andrew Gibson organise à son auberge de la Maison bleue, le 28 décembre 1830, un bal et souper des fermiers. Selon un communiqué publié, quelques jours plus tard, dans le Quebec Mercury, après avoir dansé, mangé, vers minuit, des produits du terroir, porté des toasts accompagnés de musique, dont Speed the Plough et Auld Lang Syne[12], les invités de monsieur Gibson s’empressent ensuite de retourner à la salle de bal pour s’exercer jusqu’aux petites heures du matin : ce n’est que vers cinq heures qu’ils retournent à leur maison sous un magnifique clair de lune[13].

Le 16 juillet 1832, dans le cadre d’un concours de la ferme la plus propre et la mieux cultivée, des juges examinateurs du « Comité de la Société des fermiers praticiens canadiens et anglais » viennent visiter la propriété d’Andrew Gibson. Selon leur rapport, le propriétaire de la Maison bleue, qui pratique en ce pays depuis un grand nombre d’années, possède un superbe champ de choux et de patates[14].

Le « roi des cochons »

L’année suivante, à la fin du mois de novembre, un visiteur de l’État de New York, pesant plus de 1 200 livres, fait un passage remarqué à la Maison bleue[15]. Afin de tirer profit de cette « curiosité de la nature », Andrew Gibson fait paraître dans le Quebec Mercury une « annonce poétique » mentionnant la possibilité de voir à son domicile, pendant six semaines et pour quelques sous seulement, The Great Columbian Pig. Selon le texte, ce serait le plus gros cochon ayant jamais été présenté au Canada, pour sa dimension, son poids, sa puissance et ses proportions symétriques. Pour les curieux, les billets d’admission sont alors disponibles au bar de la Maison bleue. Possédant visiblement un sens des affaires et de l’humour, l’aubergiste Gibson prend soin d’ajouter à son annonce quelques vers invitant ses concitoyens à venir voir le « Roi des cochons » et à se régaler ensuite d’une bonne bière : « The King of Pigs, invites you here, The price you see, is not too dear, You may inspect him without fear, And then regale yourselves with beer. »

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The Great Columbian Pig
Crédit photo: The Quebec Mercury, 26 novembre 1833, p. 1

 C’est l’temps d’la dinde!

Quelques années plus tard, ce sont « 24 dindes grasses » qui ont pour mission d’attirer des clients, des « tireurs d’élite », à l’auberge de la Maison bleue. Le samedi 23 janvier 1836, un peu avant deux heures de l’après-midi, des citoyens de Québec, armés de fusil et de carabine, se présentent sur la terre de monsieur Gibson pour une compétition de tir à la dinde, suivie d’un souper de viande de gibier.

« Sport. At the Blue House Hotel. On Saturday, the 23rd instant, will be shot for, 24 fat turkeys, distance for rifles 120 yards, fowling pieces 100. Any birds struck so as to produce blood, the person striking the same will be entitled to it, by paying 6d. for each shot. Shooting to commence at 2 o’clock, precisely. A Venison Dinner will be provided after the match. Tickets 1s.3d. each[16]. »

Le dernier verre!

Dans la nuit du 16 au 17 août 1838, Andrew Gibson, âgé de 39 ans, décède accidentellement dans le secteur des casernes de l’artillerie, près de l’Hôtel-Dieu de Québec. Tenant depuis quelques années « la cantine[17] et l’ordinaire [mess] de l’Artillerie royale », situés à la redoute Dauphine, le propriétaire de la Maison bleue, après avoir pris quelques verres avec un ami, va reconduire celui-ci à la porte de l’enclave militaire. Puisqu’il pleut abondamment, son ami le remercie et lui ordonne d’aller se mettre à l’abri. À son retour, intoxiqué par la boisson, il se trompe de chemin et fait une chute dans un fossé, probablement le passage d’une poterne, et se fracture ainsi le crâne. La nuit étant sombre, son corps n’est découvert que le lendemain matin à cinq heures[18]. À nouveau veuve, Margaret McKane attendra cette fois-ci plus longtemps avant de se remarier.

« Hier au soir subitement, M. Andrew Gibson, ci-devant de la Maison Bleue, à l’âge de 39 ans. Ses amis sont priés d’assister à ses funérailles qui auront lieu demain à 4 heures, P.M. Le convoi partira des Casernes de l’artillerie[19]. »

Surveillez la seconde partie de « L’auberge de la Maison bleue » sur Monsaintsauveur!

[1] BAnQ, Québec, CN301,S16, Notaire Jean Bélanger, 3 février 1817, n° 6585 ; 4 octobre 1820, n° 8311.

[2] Ce lot deviendra plus tard le n° 2104 du Village de Saint-Sauveur.

[3] Le messman est responsable du mess, lieu où se réunissent les officiers pour prendre un repas.

[4] L’année suivante, celui-ci prend possession de l’auberge Neptune Inn située au coin de la côte de la Montagne et de la rue Sault-au-Matelot. Annuaire de la ville de Québec, 1822, appendix, p. 126.

[5] Kingston Chronicle, 1 février 1822, p. 3.

[6] St. Andrew’s Presbyterian Church, Québec, 23 septembre 1822, folio 41.

[7] BAnQ, Québec, CN301,S16, Notaire Jean Bélanger, 7 mars 1822, n° 8702.

[8] Jean- Baptiste Caouette, Le Vieux muet ou un héros de Châteauguay, Québec, 1901, p. 29.

[9] The Quebec Mercury, 25 septembre 1827, p. 3.

[10] Le 7 avril 1830, William Bonnalie épouse Margaret Simpson, fille de feu Thomas Simpson et de Margaret McKane,  à l’église presbytérienne St. Andrew’s de Québec.

[11] The Quebec Mercury, 9 octobre 1827, p. 6.

[12] Chanson écossaise plus connue des francophones sous le nom de « Ce n’est qu’un au revoir ».

[13] The Quebec Mercury, 1er janvier 1831, p. 7.

[14] Le Canadien, Québec, 6 août 1832, p. 2.

[15] The Quebec Mercury, 21 novembre 1833, p. 2.

[16] The Quebec Mercury, 21 janvier 1836, p. 3.

[17] Lieu où les soldats peuvent se procurer des produits, dont de la boisson.

[18] Le Populaire, Montréal, 24 août 1838, p. 3.

[19] Le Canadien, Québec, 17 août 1838, p. 2.

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