Quelle vision pour l’espace public urbain à la Ville ?
Trois minutes. C’est le temps qu’il aura fallu lundi soir au conseil municipal pour sceller le sort du Centre Durocher, un espace communautaire au cœur du quartier Saint-Sauveur depuis plus de 60 ans – 125 ans si l’on tient compte du bâtiment de la halle Saint-Pierre qui l’a précédé sur cet emplacement stratégique.
La Ville dépensera des centaines de milliers de dollars pour l’aménagement d’un minuscule espace public en Haute-Ville qui servira de terrasse à un Starbucks, elle finance des parcs à chiens aux quatre coins de la ville, elle veut créer à grands frais un « éco-quartier » en banlieue et elle subventionne avec empressement des constructions privées (amphithéâtre). Mais un espace public stratégique depuis longtemps au cœur de l’un des quartiers historiques les plus populeux de Québec sera effacé du paysage sans que l’on semble s’être posé au préalable des questions pourtant essentielles sur sa vocation. Le nouveau projet de 69 logements proposé par Action-Habitation n’aura en effet plus vraiment de vocation publique, sinon peut-être un maigre « espace communautaire », selon la conseillère Chantal Gilbert.
Une réflexion qui aurait été nécessaire
La justification de l’inaction de la Ville dans ce dossier ? Le terrain ne lui appartient pas. Or, les citoyens ont depuis longtemps démontré que la cession du terrain par la Ville aux Oblats en 1947, qui l’ont ensuite eux-mêmes cédé en 1979 pour 1 $ à un organisme sans but lucratif, s’était faite avec l’objectif de préserver sa vocation communautaire. Devant cette situation, si une volonté existait vraiment à la Ville de préserver la vocation publique de ce lieu stratégique, il est indéniable qu’elle disposerait des outils pour y parvenir.Alors que, grugé de toutes parts par les automobilistes, les promoteurs et les politiciens amateurs de « bétonnage », l’espace public urbain ne l’a pas eu facile ces dernières décennies sur notre continent, on sent depuis quelque années un changement de cap dans les villes nord-américaines. Les gens redécouvrent du même coup les avantages de vivre dans les quartiers centraux longtemps délaissés, notamment celui de profiter plus facilement de l’accès à des lieux publics (parcs, centres communautaires, bibliothèques, musées…) de qualité. Même à Québec, ville par excellence de l’automobile et de la banlieue, les projets touchant l’espace public urbain se sont multipliés. La Ville a par exemple investi des millions de dollars dans la modernisation de son réseau de bibliothèques (Sainte-Foy, Charlesbourg, Vieux-Québec et, bientôt, Saint-Roch) et a appuyé plusieurs projets consolidants, comme l’aménagement du parc linéaire de la rivière Saint-Charles et la relance du quartier Saint-Roch. Elle a également multiplié ces dernières années les plans particuliers d’urbanisme (PPU) avec l’objectif officiel d’orienter le développement de lieux stratégiques de la ville afin d’améliorer la qualité de vie des citoyens, ce qui passe nécessairement par la qualité et l’accessibilité des espaces publics.Pourquoi alors avoir baissé les bras aussi facilement dans le cas du Centre Durocher ? Est-ce parce que Saint-Sauveur est un quartier plutôt « mal-aimé » ? Est-ce que les choses se seraient passées autrement si l’on s’était trouvé dans la même situation ailleurs sur le territoire de la ville ?
Un site irremplaçable
Ce n’est pas pour rien que le site du Centre Durocher et celui du parc du même nom – qui forment un tout indissociable – fonctionnaient : le quartier s’est peu à peu consolidé autour de cet espace public majeur au cœur du tissu urbain depuis plus d’un siècle. Ce site unique méritait certainement mieux qu’encore un autre projet de logements, banal même si on tient compte de sa dimension « sociale ».Bien sûr, le Centre Durocher aurait eu besoin de beaucoup d’amour. Moi qui habite le quartier depuis sept ans, je n’y ai mis les pieds qu’à quelques reprises, le plus souvent pour aller voter. Ses fonctions ne répondaient plus nécessairement aux besoins de la majorité des habitants du quartier, et le bâtiment, contaminé à l’amiante, ne valait peut-être pas tous les investissements qu’aurait nécessité sa rénovation. La vocation publique centenaire du site, en lien avec celle du parc, méritait en revanche d’être préservée pour les générations futures, quitte à aménager celui-ci de façon temporaire sous forme de prolongement du parc Durocher, en attendant que nous ayons collectivement les moyens de faire mieux et que nous sachions quoi y mettre exactement.Ceux qui connaissent Saint-Sauveur savent que le quartier est aujourd’hui en transformation rapide. L’arrivée éventuelle du SRB pourrait d’ailleurs encore accélérer celle-ci. Le site du Centre Durocher, doté de fonctions renouvelées, aurait certainement eu son rôle à jouer dans l’attrait du quartier pour de nouveaux ménages et la rétention de ceux déjà établis. Il aurait également pu donner un coup de pouce bienvenu aux commerçants de la rue Saint-Vallier, notre principale artère commerciale. L’investissement, plus que bien d’autres priorisés par la Ville, aurait certainement contribué davantage à la qualité de vie de nombreux citoyens. Cela ne sera pas le cas : on y construira un autre bloc à logements anonyme. Une bien triste fin pour l’un des lieux les plus emblématiques du quartier Saint-Sauveur.[ À lire aussi : Le centre Durocher remplacé par 69 logements ]
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