Noëlla

Ça fait quatre ans que je passe devant chez elle, que je ralentis le pas en espérant qu’elle me voie, que je fais du charme à ses poupées-bibelots assises à sa fenêtre, souhaitant qu’elles fassent le premier pas pour moi.Vous vous en doutez, ça n’est jamais arrivé.

Ça fait quatre ans que je passe devant chez elle, que je ralentis le pas en espérant qu’elle me voie, que je fais du charme à ses poupées-bibelots assises à sa fenêtre, souhaitant qu’elles fassent le premier pas pour moi.Vous vous en doutez, ça n’est jamais arrivé.

Alors aujourd’hui, je décide de me déniaiser. Je me plante devant sa porte-balcon. Elle est assise dans son salon, elle lit.– Allô !!Plongée dans sa lecture, elle ne m’entend pas.– ALLÔ !!J’agite ma main comme une forcenée, me disant que je n’ai plus le choix, que le pire est passé.Elle tourne la tête, me voit.ENFIN.Elle me sourit.JOIE.J’entre chez elle.

Sans doute a-t-elle senti que j’étais d’abord charmée par son appartement croulant sous les poupées-bibelots, car c’est d’abord à elles qu’elle me présente. Elle m’explique que c’est elle-même qui les peinture, qui les « habille » comme elle dit.– Regarde, je leur mets même des chaînes.

Je suis conquise.Je fais donc le tour de l’appartement, elle me montre des photos de ses sœurs, elle me parle de sa vie dans Saint-Sauveur. Je croise des bibelots jusque dans la salle de bain, des Jésus-Marie-Joseph m’observent d’un peu partout. Elle me fait visiter son cabanon et même son frigo.– Tu vois, je manque de rien, j’ai la popote qui vient me porter à manger, pis sais-tu quoi ? Moi j’ai travaillé 40 ans à l’Hôpital général, et du premier au dernier jour, j’ai aimé ça.Noëlla, c’est son prénom, c’est beau, non ? Elle aura 88 ans le 8 décembre, c’est plein de 8 cette date, c’est l’infini dans son authenticité, je pense que je vais lui faire une carte de fête.Noëlla, elle aime Saint-Sauveur parce qu’elle a l’impression que tout le monde l’aime, mais elle aussi, elle aime tout le monde. Les gens méchants ? Ça existe pas non.Noëlla, elle est née dans ce quartier. En 1910, son père a échangé 600$ contre un grand bâtiment de 17 appartements. Sur Charest, proche de notre chère madame rue Victoria. Depuis, la famille a déserté, vous vous en doutez.Alors Noëlla habite maintenant son nouveau logement, elle est seule parce que le mariage, c’est pour les démesurés, garder une photo de son mari sous son oreiller c’est non merci. Et puis après avoir grandi avec 16 autres personnes, elle a besoin de tranquillité, et puis elle se contente de ce qu’elle a entre Accommodation Saint-Joseph et Jean-Coutu Saint-Vallier.Elle a de la difficulté à se déplacer, vous voyez. Mais y a Denis Monette qui lui raconte de belles histoires, y a les mots croisés qui la font travailler. Noëlla, elle éloigne fièrement les centres de personnes âgées à grands coups de pédales de vélo stationnaire : 10 minutes par jour et ainsi, elle a la paix, elle peut rester dans son trois et demi avec Cocos les oiseaux.– Tu vois, je réussis même à faire mon ménage, c’est quand même propre non ?Oui c’est propre, pis t’es belle Noëlla, pis tu me donnes envie de revenir et même d’aller jaser avec tout le monde dans le quartier, vous avez tant de belles histoires à raconter!

Je dois y aller maintenant, mais je suis contente de m’être arrêtée, j’ai bien aimé toutes tes anecdotes sur mon quartier. C’est pas tous les jours qu’on visite le quotidien de gens qui nous sont différents. Moi je suis chanceuse, je peux me déplacer tout le temps pis loin pis longtemps, mais je vais revenir, oui je crois que je vais revenir… Je vais même t’apporter des tomates de l’Intermarché pis tu sais…

J’espère qu’un jour, plus personne ne passera quatre années à passer devant une fenêtre sans s’y arrêter.

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