
Durant les prochaines semaines, Monsaintsauveur vous invite à découvrir des artistes en arts visuels qui travaillent dans le quartier Saint-Sauveur. Aujourd’hui, rencontre avec Josée Landry Sirois.
« L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art » : cette phrase de Robert Filliou que cite Josée Landry Sirois, attablée au Pied Bleu, sied bien à ce qu'elle-même incarne, dans son voisinage de la petite rue Yvon-Guillou où tous la connaissent comme dans le paysage de l’art actuel.
La reconnaissance
Rimouskoise d’origine, déterminée depuis l’enfance à créer et « tout faire », Josée atterrit à l’Université Laval, en arts plastiques, après un an à Moncton où elle a contourné le cégep. Les années 2008-2009 la révèlent professionnellement : elle participe au Symposium international d’art contemporain de Baie Saint-Paul puis reçoit le grand prix de la catégorie Artistes professionnels du Concours d’œuvres d’art de la Ville de Québec.
C’est toutefois dès 2004 qu’elle se fait remarquer, comme artiste-commissaire avec Eugénie Cliche et Catherine Plaisance lors d’une exposition in situ près de l’ascenseur du Faubourg, dans un immeuble désaffecté. Massacre à la scie réunit une vingtaine d’artistes dont Cooke-Sasseville, Thierry Arcand-Bossé, Les Fermières Obsédées, dans les appartements abandonnés. Quelque 500 personnes assistent au vernissage; les jours suivants, le public, dont les anciens locataires évincés, se presse aux portes dès l’ouverture.
Comme co-commissaire, elle récidivera avec Accident (2010), activité satellite de la cinquième Manif d’art, et L’art à l’acte (2012). Comme artiste, elle exposera en solo ou en collectif de la Galerie Michel Guimont à Québec – où on la reverra d'ailleurs en avril prochain – à la Peak Gallery de Toronto, entre autres.Sur son parcours atypique, ses œuvres entrent au musée avant d’être vues dans les centres d’artistes. Débris d’impression (2013) est sa première exposition solo à l’Oeil de Poisson. Ce n’est pas qu’elle boude ses pairs de ce milieu, loin de là :
« La reconnaissance, ça commence par tes pairs », insiste-t-elle.
À l’amiable et sans compromis
Expositions pour bébés au Musée de la civilisation, implication à Folie/Culture, création avec des femmes incarcérées au Printemps des poètes, accompagnement de personnes aux prises avec des problématiques de santé mentale aux Ateliers de la Mezzanine, idées de projets avec des aînés… Sans faire dans l’art relationnel, Josée Landry Sirois poursuit une démarche naturellement tournée vers la médiation culturelle.
Pour elle, en art comme dans la vie, tout est entente à l’amiable. C’est dans cet esprit qu’elle réalise la conception scénographique de la pièce d’Anne-Marie Olivier Scalpée, qui lui vaut un prix pour la scénographie la plus remarquable de l'année au Gala des cochons d'or 2013. Stimulée par le processus collectif et le défi de faire une œuvre d’art visuel à la fois autonome et partie prenante d’une œuvre théâtrale, elle en ressort transformée : « Ça a changé ma façon de faire! » À l’amiable ne signifie pas pour autant compromissoire :
« J’ai confiance dans mon travail, je ne fais pas de compromis. Je fais tout, mais pas n’importe quoi! »

Carlos ou la synesthésie
En résidence de création-réseautage à Montréal en 2014, Josée doit tisser des liens avec des compagnies de danse. Fascinée par la cécité depuis son jeune âge – ayant eu une amie douée pour le dessin atteinte d’une maladie dégénérative de l’œil – elle compte aussi rencontrer des non-voyants. Un soir de théâtre, dans une Maison de la culture, un homme et son chien-guide s'installent à côté d’elle. Lorsqu’elle lui parle après la représentation, elle mesure l'importance pour elle de la vue : « peut-on se voir… j’aimerais te montrer mon travail… ». Lui, c’est la tonalité de voix qui le convainc : il accepte de collaborer au projet d’art visuel... à condition qu’ils créent aussi une pièce de théâtre pour aveugles.
Carlos Parra, malgré sa cécité totale, fait tout lui aussi : il joue du piano, il est bénévole pour Médecins sans frontières auprès des sans-papier, il compte retourner aux études en travail social. Il fait même du vélo et du patin à roues alignées! Originaire de Colombie, il a migré aux États-Unis, puis au Canada, où il est arrivé comme immigrant illégal avec son chien-guide. Il parle espagnol, anglais, français, maîtrise le braille dans les trois langues.
Abécédaires, chartes et lexiques occupent déjà une place centrale dans la pratique de Josée, qui associe des signes, des archétypes aux émotions et sentiments qu’elle veut montrer. Avec Carlos, elle repousse ses limites pour faire appel aux autres sens, à la synesthésie afin de donner à voir autrement. Le résultat, Les lignes de vies, sera présenté dès le 7 février à la Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal où avait débuté leur collaboration… qui se poursuit.
Il y a la pièce de théâtre, dont Josée dessinera la scénographie en son, médium qu’elle n’avait pas encore osé explorer. Il y a des projets d'exposition et de livre-boîtier pour aveugles avec Jeanne Couture, l'une des coorganisatrices de la Foire en art actuel. Il y a un aussi un projet en gestation avec une chorégraphe-interprète et un concepteur sonore. Et il y a une amitié durable entre une artiste en arts visuels et un non-voyant.

L’impact qu’on crée
« On est responsable de l’impact qu’on crée sur les gens », croit Josée Landry Sirois. Un jour qu’elle visite avec Carlos une exposition de Graeme Patterson qui inclut des maquettes, elle incite son ami à toucher : un autobus (« tu y embarques tous les jours »), une montagne (« imagine-la en 500, 1000 fois plus gros ! »)… Quelques jours plus tard, Carlos lui téléphone pour qu’elle lui rappelle l’adresse de l’exposition : il va y emmener un ami…
« Un aveugle qui a été tellement marqué par une exposition qu’il veut la montrer à son ami voyant! Imagines-tu comme ça peut être fort, l’art visuel? »