Saint-Sauveur du temps des Plouffe

L’animatrice Marie-Ève Sévigny est parvenue à nous faire voir sous un autre œil la paroisse Saint-Joseph de Saint-Sauveur.
Le dimanche 12 octobre, je suis allée au parc des Braves m’attrouper, avec une trentaine d’autres passionnés de littérature, pour l’avant dernière Promenade des écrivains de la saison, portant sur « Le petit monde de Roger Lemelin ». Cette fameuse promenade propose plusieurs parcours qui permettent de redécouvrir l’âme d’un quartier de la ville grâce à l’œuvre d’un écrivain.Si j’ai bravé la fraîcheur de ce matin d’automne, c’est que j’avais vraiment envie d’entendre parler de Roger Lemelin (1919-1992) et de ses Plouffe, célèbre roman (1948) qui met en scène une famille de la classe ouvrière à laquelle s’est attaché tout le Québec des années 1950. L’œuvre a d’abord fait l’objet d’un feuilleton radio et télévisé pour ensuite être mise en film par Gilles Carle en 1981 (Les Plouffe) et en 1984 par Denys Arcand (Le crime d’Ovide Plouffe). Ces deux films m’ont d’ailleurs laissé une impression durable en raison du jeu de Gabriel Arcand, tout simplement inoubliable dans le rôle principal.J’ai été captivée par l’exposé de l’animatrice Marie-Ève Sévigny qui nous a fait voir sous un autre œil la paroisse Saint-Joseph, celle où a grandi Lemelin. En nous la faisant parcourir d’un bout à l’autre et en lisant des extraits de trois livres de l’écrivain, elle a presque fait revivre l’âme du quartier bruyant et surpeuplé qu’était Saint-Sauveur dans les années 1940.Voici les grandes étapes de ce parcours et quelques anecdotes savoureuses qui m’ont marquée en chemin.

Premières stations: parc des Braves et côte de la Pente-Douce

Le parc des Braves, avec ses grands arbres, était une oasis pour les fils et filles d’ouvriers qui venaient y flirter en habits du dimanche et rêver de jours meilleurs. C’est l’endroit où Ovide Plouffe aimait à lire des poètes français le dimanche pendant que ses frères, Napoléon et Guillaume, faisaient les singes dans le coteau Sainte-Geneviève avec les autres gamins du quartier.Sur la côte de la Pente-Douce, petite révélation: celle-ci s’appelait plutôt côte Franklin à l’époque des Plouffe jusqu’en 1992. C’est en partie grâce au premier roman de Lemelin, Au pied de la Pente douce, que la ville nommera officiellement de ce nom la côte, en 1993, après la mort de ce dernier. Météore dans l’univers littéraire, ce roman connaît un succès monstre: 44 000 copies vendues. Certains disent même qu’il s’agit du chef-d’œuvre de l’écrivain.

Troisième station: parc Roger-Lemelin

Devant le buste de Lemelin, notre animatrice raconte le parcours étonnant de ce romancier, tour à tour homme de lettres et homme d’affaires, qui est parvenu à monter la côte de la Pente-Douce pour se frayer un chemin parmi l’élite du Québec. Après ses succès en littérature et en journalisme, il deviendra propriétaire de la fabrique de creton Taillefer ainsi que de la pâtisserie Viau (apparemment, il aimait les whippets!) avant de fonder sa propre compagnie de publicité en 1961. Grand admirateur de Trudeau et ami de Paul Desmarais, il sera PDG de La Presse de 1972 à 1981. Le sommet, quoi!

Quatrième station: à l’angle des rues Montmagny et Christophe-Colomb

Posté devant l’imposant presbytère sur la rue Montmagny, non loin de la petite maison ouvrière construite par le père de Roger Lemelin, notre petit groupe rigole en écoutant l’animatrice décrire la scène des Plouffe qui raconte la visite du roi George VI (père d’Élisabeth II) à Saint-Sauveur en 1939. Alors que tous les habitants de la rue Montmagny apprêtent fébrilement leur maison pour l’occasion avec banderoles et drapeaux, le père Théophile Plouffe, résolument antibritannique, refuse de décorer sa maison et se promet de tourner le dos à la parade. Son fils Guillaume parvient d’ailleurs, avec sa balle, à décoiffer le monarque!

Cinquième station: l’église Saint-Joseph ou le trou béant qu’il en reste

Dans la suite des Plouffe, Le crime d’Ovide Plouffe, tournée en 1984, Ovide ouvre sa bijouterie devant l’église Saint-Joseph à cause du va-et-vient fréquent des passants. C’est aussi dans cette église que le très libéral curé Folbèche organise une grand-messe pour témoigner son appui aux ouvriers en grève à Asbestos en 1949. Il y accueille pour l’occasion le chef syndicaliste Jean Marchand, le journaliste Gérard Pelletier et P. E. Trudeau. Résultat: Folbèche est muté un an à Sept-Îles pour avoir défié l’Église qui s’est rangée, tout comme Duplessis, du côté des employeurs.

Sixième station: l’escalier des Franciscains ou comment Ovide quitte la robe pour la jupe!

Attiré par la prêtrise, Ovide séjourne chez les Pères blancs d’Afrique, mais succombe aux charmes de la pulpeuse Rita Toulouse, qui est cependant loin de partager ses goûts intellectuels. Pour ce premier rendez-vous, Ovide l’incite à gravir l’escalier des Franciscains, suffisamment long, selon ses calculs, pour avoir le temps de l’embrasser dans la montée. D’abord enhardi et sûr de lui durant les deux premiers paliers, il perd vite de sa superbe et arrive bredouille en haut. Il la mariera pourtant, au grand dam de sa mère!Envie d’assister à la dernière Promenade des écrivains dans le quartier? C’est ce dimanche 26 octobre, au monument du parc des Braves, à 10 h 30. On réserve au 418 641-6798. Coût: 15 $ (grand public) et 10$ (étudiants).

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