Ma rue Victoria
J’ai atterri dans Saint-Sauveur en 2008 alors que je cherchais une propriété assez abordable pour mes maigres économies, plutôt par hasard. Je visitais des condos depuis des mois, je désespérais. C’était le dernier sur la liste cette journée-là, et j’avais la ferme intention de baisser les bras.
— Rappelle-moi le nom de la rue, donc? me demande mon agente d’immeuble, enceinte jusqu’au cou, en manœuvrant entre deux bancs de neige (c’était en plein mois de janvier, et on constatait déjà que le déneigement allait être un sujet chaud).
— Victoria (ton sans conviction).
— Ah, c’est drôle! Ma petite fille va s’appeler Victoria! »
Dès ce moment, j’ai ouvert les yeux un peu plus grands : les coïncidences, j’aime ça. Ça me parle. L’extérieur du bâtiment m’a plu, la brique était jolie. Et à l’intérieur, coup de foudre : un bain sur pattes, et toute la tuyauterie nécessaire pour un lave-vaisselle! Il n’en fallait pas plus pour que j’adopte la rue Victoria.
Et c’était qui Victoria?
L’escalier Victoria, la rue Victoria, le parc Victoria… Le moins qu’on puisse dire, c’est que Saint-Sauveur a de la suite dans les idées! À mon étonnement, la rue et le parc Victoria ne sont pas nommés d’après la même Victoria que l’escalier du même nom.
La rue et le parc Victoria sont nommés en l’honneur de « Victoria 1re (1819-1901), reine de Grande-Bretagne et d’Irlande (1837-1901) et impératrice des Indes (1876-1901). Petite-fille de George III et fille du prince Édouard, duc de Kent, Victoria succède à son oncle Guillaume IV, mort sans héritier. La jeune reine redonne rapidement dignité et prestige à la Couronne britannique, alors fort dénigrée.
De son mariage en 1840 avec Albert de Saxe-Cobourg naîtront neuf enfants qui s’uniront à toutes les familles régnantes d’Europe. Victoria marquera fortement de son empreinte personnelle la vie politique de la Grande-Bretagne, qui connaîtra sous son règne, « l’ère victorienne », l’apogée de sa puissance politique et économique.
Quant à l’escalier, il est nommé « en souvenir de Victoire-Adélaïde Jourdain qui épouse à Québec en 1861 Adolphe Guillet dit Tourangeau, notaire et maire de la ville de Québec de 1863 à 1866 et en 1870 ». Dans ma rue, il y a donc deux Victoria d’un autre temps qui se rencontrent pour se serrer la main, là où la rue devient escalier.
Ma rue Victoria… et la rue Hermine
En près de 6 ans, j’en ai vécu des choses sur cette rue Victoria, et aussi sur la rue qui la croise au coin de ma bâtisse, la rue Hermine (la seule rue dont le nom commence par H dans Saint-Sauveur !). Un toit à refaire entièrement, un cycle complet aux petites créances, des opérations policières (et encore d’autres opérations policières, de vrais romans!)… Mais aussi des voisins assis sur leur chaise pliante l’été, quand il fait trop chaud dehors; des notes de guitare qui s’envolent discrètement depuis un perron, les voisins qui me saluent, les chats qui viennent dire bonjour, le verre de blanc sur la galerie, les tempêtes de neige, les Perséides au mois d’août (oui, oui, je vous jure, en ville!)… Les bâtiments qui se construisent, se rénovent, les commerces qui ouvrent et qui ferment… Même le bruit des grattes et du déneigement qui gronde sous les fenêtres me berce tranquillement. J’y suis chez moi. Je partirai un jour, c’est certain. Mais il restera toujours une petite partie de rue Victoria en moi.
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