Histoires de dépanneurs (3) : Isidore Blouin
Comme j’ai grandi en banlieue, un dépanneur de quartier, je ne connaissais pas ça. Mon dépanneur à moi, c’était un Provisoir ou un Pétro-Canada, situé dans un endroit stratégique où les voitures peuvent s’arrêter pour faire le plein. Le côté « dépanneur » de la chose était souvent bien accessoire, sauf pour les frigos à bière!Et c’est justement pour acheter de la bière que j’ai pour la première fois franchi la porte de chez Isidore Blouin, mon dépanneur de quartier. En plein déménagement, il me fallait ravitailler les troupes! Mon père ne boit que de la 50, mon frère aime la Bud, mes amis préfèrent la bière de microbrasserie (et moi aussi d’ailleurs). C’est donc avec 4 6-packs que je me présente au comptoir, en remerciant le ciel de n’habiter qu’au coin de la rue.
Mais, mademoiselle, ça va vous coûter plus cher que si vous achetiez une caisse de 24! »
C’est bien la première fois qu’on s’inquiétait de mes finances dans un dépanneur… J’explique ma situation au monsieur derrière le comptoir, qui hoche la tête devant cette folle dépense. Je paye, et je me demande bien comment je vais réussir à sortir avec 4 6-packs dans les bras…Imaginez ma surprise quand le monsieur en question est sorti de derrière son comptoir pour me tenir la porte. C’est à ce moment que j’ai réalisé que je venais de déménager dans un quartier bien particulier, qui ne cesserait d’étonner la banlieusarde que j’avais toujours été.Depuis, je n’ai cessé de remarquer de petits détails à chaque fois que je suis entrée chez Isidore.J’ai remarqué la station de radio qu’on y écoute. Radio-Canada. Jamais autre chose.J’ai remarqué les films qu’on peut y louer. Du répertoire, s’il vous plait.J’ai aussi pu constater qu’orange est une bien mauvaise couleur pour des emballages de biscuits : à preuve, cette section des Biscuits Leclerc qui me fout la déprime à chaque fois que je la regarde…Au fil des années, j’ai aussi remarqué que les choses devaient être plus difficiles pour cette petite épicerie de quartier… À mon arrivée, le congélateur était toujours garni de pizzas La Gauloise, et, dans les frigos à bière bien garnis, je pouvais même m’y procurer de la bière Tecate, une bière mexicaine que j’aime bien et qu’on ne retrouve pas toujours dans les grandes surfaces.Un jour, je suis tombée nez à nez avec des frigos à bière vides. Ils se sont regarnis depuis, mais on sent bien que les affaires ne sont pas toujours faciles. Ça m’inquiète, je dois avouer… Mon dépanneur de quartier, c’est ma bouée de sauvetage pour les paniques de dernière minute, l’endroit où je peux me pointer en pyjama sans m’inquiéter… C’est l’endroit où je suis allé épingler la photo de mon minou en cavale et où on s’est réjoui avec moi quand il est revenu de lui-même… C’est un peu le cœur de mon quartier.
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