25 ans de développement économique et communautaire

La Corporation de développement économique communautaire (CDEC) de Québec a vu le jour en 1994. Dans la foulée de son 25e anniversaire, célébré en 2019 et souligné par la publication d’un livre lancé cet automne, nous avons discuté de sa mission et de développement avec la directrice générale et la présidente de l'organisme.

25 ans de développement économique et communautaire | 10 décembre 2020 | Article par Julie Rheaume

Isabelle Gilbert et Rosie Belley de la CDEC de Québec, le 8 décembre 2020.

Crédit photo: Julie Rheaume

La Corporation de développement économique communautaire (CDEC) de Québec a vu le jour en 1994. Dans la foulée de son 25e anniversaire, célébré en 2019 et souligné par la publication d’un livre lancé cet automne, nous avons discuté de sa mission et de développement avec la directrice générale et la présidente de l’organisme.

La CDEC, alors appelée Comité pour la Relance de l’Économie et de l’Emploi du Centre de Québec (CRÉECQ), a ouvert ses portes en 1994 dans la Ville-Capitale. Elle « est née de l’urgence d’agir et de faire des quartiers centraux de l’ancienne ville de Québec, lieux de dévitalisation par excellence, des pôles de développement », selon l’historique de l’organisme.

Mission

À sa fondation, sa mission est de « créer et maintenir l’emploi durable et développer des compétences pour les résidents et résidentes du centre de Québec, en concertation avec le milieu et les diverses instances gouvernementales ».

Vingt-six ans plus tard, le rôle de l’organisme « est de promouvoir le développement économique communautaire et social, par l’accompagnement des entreprises d’économie sociale et la mobilisation des communautés autour de projets structurants visant la création de la richesse collective et l’amélioration de la qualité de vie ».

« Aujourd’hui, la mission de la CDEC se réalise beaucoup à travers l’accompagnement aux entreprises collectives. Qu’est-ce qu’une entreprise collective? Ça peut être un organisme à but non lucratif (OBNL) ou une coopérative qui a une activité marchande, qui a des revenus autonomes, qui a une partie de ses activités qui se financent par la vente de biens ou de services. Souvent, on me dit ”Vous êtes devenus très économiques”. En fait, les projets qu’on accompagne ne sont pas très différents des projets qu’on a accompagnés à nos débuts », explique la directrice générale Isabelle Gilbert, en poste depuis août 2019.

Elle cite d’ailleurs en exemple des projets actuels tels une nouvelle épicerie zéro déchet qui se forme en coopérative dans Saint-Roch ou Les Urbainculteurs, qui œuvrent depuis 2009 au développement d’une agriculture adaptée au contexte urbain.

En tout, la CDEC accompagne une soixantaine d’entreprises ou projets collectifs. En 2019-2020, 31 % de ces projets ou entreprises provenaient du secteur Arts/culture/patrimoine et un autre 31 %, du secteur Santé et services aux personnes. Quelque 18 % des projets étaient issus du domaine de l’Environnement.

Les autres secteurs représentés, selon le dernier rapport annuel de l’organisme, étaient les Services aux entreprises (14%); Loisirs et tourisme (5%) et Technologies de l’information (1%).

La majorité des entreprises ou projets qui reçoivent un accompagnement de la CDEC sont des OBNL (72 %) et le reste, des coopératives (28 %). Un soutien lié à recherche de financement, à la gouvernance et la vie associative, au plan d’affaires ou au développement y est notamment proposé.

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« C’est à travers ces projets que l’on continue à lutter contre les changements climatiques, à travailler à la réduction des inégalités sociales », dit Mme Gilbert.

Approche

« L’approche de développement économique communautaire est née, je dirais, au début des années 1990 avec le RESO (Regroupement pour la relance économique et sociale du sud-ouest de Montréal). Nancy Neamtan était le fer de lance de ce mouvement (axé sur) un développement par et pour la communauté », raconte Isabelle Gilbert.

« Les fondements du développement économique communautaire, c’est de dire que les milieux sont aptes à se prendre en charge et à développer des projets qui visent essentiellement l’intégration socio-économique des personnes, la lutte à la pauvreté, la création de richesse collective, mais aussi l’amélioration de la qualité de vie des citoyens d’un territoire », poursuit-elle.

Les locaux de la CDEC sont situés à la Maison de la Coopération, sur le boulevard Charest.
Crédit photo: Google Street View

L’approche est ancrée sur un territoire et portée par les citoyens, renchérit Mme Gilbert, une forme d’empowerment. Pour elle, la personne est au cœur du développement économique communautaire au lieu du profit comme objectif ultime.

Le développement économique communautaire cible aussi la revitalisation des quartiers. Cette approche a souvent vu le jour dans des quartiers qui connaissaient une dévitalisation, ajoute la directrice générale. « Ce fut le cas de la CDEC de Québec », dit-elle.

« La CDEC de Québec a contribué de façon assez importante à la revitalisation du quartier Saint-Roch, notamment. Il y a beaucoup de développement qui se fait actuellement dans le quartier Saint-Sauveur, qui connaît une belle revitalisation. Mais la revitalisation de certains quartiers comprend certains enjeux. On veut éviter que les populations vulnérables soient déportées, que ça repousse les problèmes, que tous les mêmes entrepreneurs obtiennent les mêmes terrains… (Il faut) que l’on favorise l’intégration des logements sociaux, qu’il y ait un équilibre qui soit conservé tout comme l’accès aux services. Ça fait partie des considérations que la CDEC porte », enchaîne la présidente du conseil d’administration Rosie Belley.

Développement et gentrification

Le développement des quartiers centraux rime souvent avec spéculation immobilière, nouvelles constructions ou logements rénovés aux loyers exorbitants. Des gens aisés et branchés y remplacent les résidents de longue date et/ou les personnes moins nanties. Comment garder un équilibre entre développement et mixité sociale?

Lorsque la CDEC (alors le CRÉECQ) est née, Saint-Roch était dévitalisé, raconte Isabelle Gilbert. Pauvreté et chômage s’y côtoyaient. Il y avait peu de commerces de proximité.

L’organisme « avait alors mis sur pied des stratégies qui étaient beaucoup centrées sur l’intégration en emploi, l’intégration socio-économique des personnes et sur la revitalisation du quartier : comment faire pour que ça cesse de se dégrader et qu’il y ait des investissements qui soient faits? Aussi, on a amené dans le quartier des projets comme la Maison des métiers d’art. Il y avait cet esprit-là de dire ”Il faut revitaliser le quartier et tout le monde a droit à une qualité de vie dans son environnement. Ça passe par l’emploi, l’environnement bâti, les espaces verts et tout ça”. Vingt-ans plus tard, on se retrouve dans le quartier de la technoculture, un quartier technobranché. On a un peu réussi à revitaliser ce quartier-là, mais les populations qu’on souhaitait desservir ont-elles encore toute la place qu’elles sont besoin dans ce quartier? », répond Isabelle Gilbert.

« Ce qui est garant, c’est la mixité sociale. On est encore très actif, par exemple, sur le logement. On a travaillé à la mise en place de coopératives d’habitation. On travaille encore sur la mise en place de d’autres projets de coopératives dans Saint-Sauveur et dans Saint-Roch », soutient Mme Gilbert.

Pour la directrice générale, le développement et l’implantation d’une entreprise dans un quartier amène son lot d’emplois, un avantage majeur.

« Ce n’est pas que négatif. Il ne faut pas voir un quartier qui est vivant et qui est vibrant uniquement comme un quartier qui s’est gentrifié. Il y a encore un haut niveau de mixité sociale dans Saint-Roch et ça, c’est un gain. S’il n’y avait pas eu des organisations comme la CDEC, peut-être que cette mixité ne serait plus là », affirme-t-elle.

« On a encore des services de proximité et un tissu communautaire qui est très présent, très fort, dans les quartiers centraux. C’est cet équilibre qu’on a contribué à maintenir dans les quartiers centraux pour que le développement et la revitalisation ne se fassent pas au détriment des clientèles les plus vulnérables », ajoute la directrice générale.

Les temps changent?

Pour la CDEC, les enjeux présentement mis de l’avant ont-ils bien changé depuis le milieu des années 1990?

« On parlait beaucoup moins de lutte aux changements climatiques en 1994 qu’on en parle aujourd’hui. Ça peut paraître loin d’un mandat de revitalisation ou de vitalité urbaine et d’intégration socio-économique des personnes, mais la lutte aux changements climatiques, c’est aussi des espaces verts dans les quartiers centraux, moins de congestion routière dans Saint-Roch et Saint-Sauveur. C’est aussi l’accès à une agriculture biologique de proximité. Ces enjeux font aussi partie de notre qualité de vie comme citoyens », répond Isabelle Gilbert.

« À travers tout cela, on travaille sur la qualité de vie des individus », ajoute-t-elle.

Comment voit-on l’évolution future de la CDEC, autant en ce qui a trait à son rôle qu’au type de projets qu’elle accompagnera?

« Je pense qu’il y a un vrai momentum pour l’économie sociale qui commençait à se déceler avant la pandémie, mais qui est devenu encore plus criant pendant la pandémie. Je pense qu’on s’est rendu compte, pendant la pandémie, que la solidarité, que le commerce de proximité, que l’achat local étaient importants (…). On a vu des sujets qui étaient traditionnellement portés par des organismes comme le nôtre et des organismes communautaires qui ont pris du galon. Ils sont devenus comme une évidence : il fallait s’en préoccuper », répond la directrice générale.

« On a de très beaux projets pour l’avenir, à la CDEC. On travaille sur l’économie circulaire, sur, éventuellement peut-être, un accélérateur/incubateur d’entreprises en économie sociale ou même entreprises à mission sociale. Au-delà de l’approche collective, il y a de plus en plus d’entreprises qui veulent se tourner vers la responsabilité sociale, l’intégration des personnes plus vulnérables à l’emploi, etc. Ça a toujours été là chez les entreprises collectives, mais il y a de plus en plus d’entreprises traditionnelles qui souhaitent aussi s’investir autrement, entreprendre autrement. Il y a des entrepreneurs très en vue qui amènent ces réflexions. J’aimerais ça que la CDEC, par son expérience sur les plans économique et social, puisse influencer ces entrepreneurs-là », ajoute Mme Gilbert.

La CDEC pourrait-elle donc éventuellement collaborer avec des entrepreneurs privés? « Bien, on verra… Éventuellement, dans le futur, si on est capable d’amener quelque chose à ces entrepreneurs. Assurément, depuis 25 ans, on est à cheval entre l’économique et le social. On a une expertise qu’on est prêt à partager », répond la directrice générale.

La ressource a notamment développé une expertise sur l’équité au sein des conseils d’administration ou l’écriture inclusive, dit-elle en exemple, « qui pourrait être utile ailleurs que dans les entreprises collectives ».

Place des femmes

Parlant d’équité, les femmes sont-elles très présentes dans le secteur de l’économie sociale? Sont-elles surreprésentées ou sous-représentées?

« Ça dépend des secteurs. Dans les entreprises qu’on accompagne, on voit autant d’hommes que de femmes. C’est peut-être dans les secteurs d’activités, que c’est un peu différent. En culture et services aux personnes, on voit davantage de groupes de promoteurs majoritairement composés de femmes. En environnement, on voit un petit peu plus d’hommes, surtout lorsqu’on est en technologies environnementales, la géothermie, ces trucs-là. On retrouve malheureusement encore des secteurs qui sont plus féminins et d’autres, plus masculins. J’ai l’impression que ça tend à changer », répond Mme Gilbert en faisant allusion à certains jeunes promoteurs.

Du côté de l’entrepreneuriat, l’organisme a soulevé des enjeux sexospécifiques dans le cadre d’un projet porté par sa collègue Morgane Viguet de la CDEC, tels la prise de risque ou le financement.

« Les femmes n’ont pas les mêmes attitudes au niveau financier, sont victimes de certains préjugés en matière de financement ou sont dans des secteurs qui sont plus défavorisés sur le plan des programmes de financement. Il y a vraiment des enjeux structurels au niveau de l’entrepreneuriat féminin sur lesquels nous travaillons », ajoute Isabelle Gilbert.

Au sein de la CDEC, le conseil d’administration a adopté « une politique de diversité-équité-inclusion, qui comprend des objectifs à atteindre, des visées, par rapport à la composition de ses membres, notamment au niveau du genre, de l’âge et de la diversité culturelle. On a atteint à peu près tous les objectifs qu’on s’était fixés sauf celui de la diversité, mais il reste encore un membre à aller chercher sur notre CA », explique Rosie Belley.

« On souhaite que la CDEC, non seulement par le biais de l’entrepreneuriat féminin, (porte elle-même) les valeurs qu’on a travaillées, qu’on a étudiées, qu’on soit nous-mêmes un exemple pour les entreprises qu’on dessert. Ça devient un enjeu de plus en plus important  (…) à léguer comme savoir et comme modèle », ajoute Mme Belley.

Un livre

Le lancement du livre La CDEC de Québec – 25 ans d’histoires de développement, par Linda Maziade, était prévu au printemps 2020. En raison de la crise sanitaire, il a eu lieu en septembre (par visioconférence) dans le cadre de la dernière assemblée générale de l’organisme.

L’ouvrage rappelle comment la CDEC « s’est investie dans le développement économique communautaire en privilégiant un modèle économique humain, équitable et durable ». Il retrace notamment les moments forts qui marquent l’histoire de la ressource.

Son autrice, Linda Maziade, a œuvré pendant plus de 35 ans dans les domaines communautaire et de l’économie sociale, à Québec comme en région. Celle qui possède une longue feuille de route a notamment agi comme directrice générale du Fonds d’emprunt Québec pendant 17 ans.

La CDEC de Québec – 25 ans d’histoires de développement. Autrice : Linda Maziade. 155 pages. Prix de l’édition papier : 25 $. La version électronique est disponible gratuitement en format PDF.

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